La campagne acharnée de Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur, en faveur de la « suppression de la taxe » laisse présager ce qui pourrait être le plus grand revirement en matière de politique climatique jamais opéré dans l’OCDE.

Les projections montrent que les conservateurs sont en voie de remporter un gouvernement « majoritaire » écrasant avec seulement 40 % du vote populaire, grâce à la prime de sièges fournie par le scrutin majoritaire uninominal à un tour.

Poilievre a été clair comme de l’eau de roche dans son attaque impitoyable et ciblée : il utilisera le soi-disant mandat d’une minorité d’électeurs dans notre système majoritaire uninominal à un tour pour démanteler la taxe carbone nationale du Canada.  

Après sept ans d’application de la taxe sur le carbone, les entreprises, les consommateurs et même les fournisseurs d’énergie ont planifié et investi en conséquence. L’impact potentiel, tant financier qu’environnemental, d’un renversement de cette politique climatique fondamentale est sans précédent dans l’OCDE. 

Un changement de politique est toujours coûteux, mais ce revirement particulier coûterait encore plus cher que d’habitude. Pour protéger leurs investissements dans les technologies de réduction des émissions de gaz à effet de serre, certaines entreprises ont signé des « contrats carbone » avec le gouvernement, transférant ainsi des milliards de dollars de risques aux contribuables.

Pourquoi la taxe sur le carbone est-elle importante pour atteindre les objectifs climatiques du Canada ?

La réduction des émissions de gaz à effet de serre est un défi mondial dont la réussite dépend de la mise en œuvre par les pays de mesures de plus en plus ambitieuses pour « infléchir la courbe ». À défaut, les scientifiques ont été brutalement clairs : moins nous en faisons, plus nous souffrirons plus tard de conséquences dévastatrices et irréversibles. 

Des décennies de recherches menées par des scientifiques et des économistes (non partisans) ont montré que la taxation du carbone est l’un des outils les plus efficaces (et les moins coûteux) pour réduire les émissions et faire en sorte que les économies ne dépendent plus des combustibles fossiles très polluants.

C’est pourquoi presque tous les pays de l’OCDE ont fait de la taxation du carbone un élément central de leur politique climatique :

net carbon tax rate OECD countries 2021

Alors que le Canada était comparativement en retard au niveau fédéral, nous avons finalement commencé en 2018 avec un plan climatique fédéral complet visant à réduire nos émissions d’ici 2030, conformément aux engagements que nous avons pris envers la communauté internationale dans le cadre de l’Accord de Paris de 2015. Malgré ses lacunes, le plan actuel du Canada représente le premier effort sérieux pour progresser, ce qui marque une nette rupture avec les décennies de promesses vides et d’inaction. 

La taxe sur le carbone devait représenter jusqu’à un tiers des réductions d’émissions du Canada d’ici à 2030.

Ce n’est pas seulement la taxe sur le carbone qui sera reléguée à la poubelle si le gouvernement change de main : d’autres éléments du plan national pour le climat visant à réduire les émissions, notamment la réglementation sur les carburants propres et la transition vers les véhicules électriques, sont également sur la sellette. On peut s’attendre à ce que ces changements aient d’autres effets d’entraînement à d’autres niveaux réglementaires.

Si le Canada abandonne la taxe nationale sur le carbone en 2025, il lui sera non seulement extrêmement difficile de respecter ses obligations internationales en matière d’action climatique dans le cadre de l’Accord de Paris, mais il deviendra aussi un cas isolé parmi ses pairs de l’OCDE. 

En fait, il n’est pas certain qu’un gouvernement conservateur maintienne le Canada dans l’Accord de Paris. Se retirer de l’accord rétablirait immédiatement notre pays en tant que paria international en matière de climat, une réputation que nous n’avons commencé à mettre en doute que récemment. 

Les priorités électorales fluctuent, mais une forte majorité de Canadiennes et de Canadiens soutiennent une action climatique efficace.

À l’approche des élections, les politiques qui ont un impact direct et immédiat sur notre sécurité personnelle domineront naturellement les conversations à la porte. Des sondages récents montrent que l’augmentation du coût de la vie est la principale préoccupation des Canadiens. La crise du logement, qui continue de s’aggraver et de causer des souffrances immédiates à de nombreuses personnes, est une autre question prioritaire. Les soins de santé et l’économie complètent le quatuor de tête. 

 À l’inverse des tendances précédentes, les Canadiens plus âgés – qui sont plus susceptibles d’être financièrement à l’aise – accordent une plus grande priorité à l’action climatique que les jeunes. 

Mais si l’inquiétude liée aux questions financières a fait reculer le changement climatique dans la liste des priorités, cela ne signifie pas que la majorité des électeurs souhaite que le Canada revienne sur ses engagements en matière de climat ou qu’il efface les progrès réalisés. Inondés par les vagues de chaleur, les incendies de forêt et d’autres phénomènes météorologiques extrêmes, la plupart des Canadiens savent que négliger une action climatique sérieuse revient à mettre en péril notre bien-être et notre sécurité à long terme. 

Une majorité de Canadiens est préoccupée par le changement climatique et reste favorable à une action forte du gouvernement fédéral dans ce domaine. 

Si les Canadiens se préoccupent toujours du changement climatique, pourquoi nous dirigeons-nous vers un changement radical en matière de politique climatique ?

Le vote à la majorité est le principal responsable de l’ampleur du gâchis.

Les solutions au changement climatique ont toujours été mal adaptées au court terme et à la vision stratégique de la politique électorale. 

Pour être efficaces, les solutions à long terme doivent être envisagées bien au-delà de la durée de vie d’un gouvernement. Leur mise en œuvre ne produit pas d’améliorations spectaculaires et immédiates pour lesquelles les politiciens seront récompensés dans les urnes. 

Pire encore, les élus en place aujourd’hui toucheront leur retraite ou ne seront peut-être même plus en vie, lorsque les conséquences les plus dévastatrices de leurs décisions en matière de climat se font sentir. 

Bien que ces réalités politiques soient vraies dans tous les pays, les incitations perverses du scrutin « winner-take-all » exacerbent le problème.

N’importe quel gouvernement pourrait donner la priorité à une action urgente sur les crises du logement et de la santé, tout en maintenant le Canada sur la voie du respect de ses engagements internationaux en matière de climat. Nous pouvons marcher et mâcher du chewing-gum en même temps. C’est ce que veulent la plupart des électeurs.  

Dans ce cas, pourquoi la campagne en faveur de la suppression des taxes (et du plan climatique) est-elle devenue un courant dominant au Canada ?

La réponse est évidente : la politique du « winner-take-all » récompense les politiciens qui politisent le changement climatique et en font un sujet de discorde pour leur propre bénéfice électoral à court terme. 

Même si les changements politiques qui en résultent nuisent aux citoyens à long terme.

L’histoire récente du Canada est déjà remplie d’exemples de changements politiques destructeurs en matière de climat. 

En 2002, un gouvernement libéral a engagé le Canada dans le protocole de Kyoto.

En 2012, un gouvernement conservateur a fait du Canada le premier signataire au monde à se retirer du protocole. 

Au niveau provincial, après que les PC de Doug Ford ont été élus à un gouvernement « majoritaire » avec seulement 40 % des voix en 2018, l’une des premières actions du nouveau gouvernement a été de détruire le système de plafonnement et d’échange de l’Ontario et d’annuler 758 projets d’énergie renouvelable. 

Au niveau international, l’un des exemples nationaux les plus graves de dérapage politique en matière de climat a été l’annulation par l’Australie de sa taxe sur le carbone en 2014. L’Australie est le seul pays de l’OCDE à avoir abrogé une taxe sur le carbone jusqu’à présent.

Ce n’est pas une coïncidence si l’Australie utilise un système de vote à bulletins classés où le gagnant emporte tout, qui reproduit (et peut même exagérer) les problèmes du scrutin majoritaire uninominal à un tour, y compris les dérives politiques.

La dérive politique s’est manifestée de manière flagrante en Australie en 2014 sur la question de la taxe sur le carbone. Les négociations en vue d’un accord bipartisan visant à fixer un prix au carbone ont échoué parce qu’une faction de députés (dont certains hostiles à l’action climatique) du parti conservateur (« libéral-national ») était plus intéressée par un sujet de discorde sur lequel il était possible de se lancer dans une bataille électorale contre le parti travailliste au pouvoir.

En fin de compte, la taxe sur le carbone qui avait été introduite par le seul gouvernement travailliste – entraînant la plus forte réduction annuelle des émissions de gaz à effet de serre depuis 24 ans – a été rapidement annulée par le gouvernement libéral-national (conservateur). 

 

Les conséquences pour les émissions de l’Australie ont été rapides et radicales, avec des implications politiques à long terme. 

Six ans après l’annulation de la taxe sur le carbone, l’Australie a obtenu un zéro sur l’échelle politique de l’Indice de performance climatique 2020, soit l’avant-dernière place. 

Pire encore, la capacité d’avoir une conversation politique rationnelle sur la taxation du carbone a subi de graves dommages à long terme. 

Comme l’a fait remarquer Kane Thorton, PDG du Conseil australien de l’énergie propre, en 2019 :

« Même aujourd’hui, dans les discussions et les débats, vous pouvez encore voir ces cicatrices. Chaque dirigeant politique – dans les deux grands partis – a été très fortement affecté par cette question […].

 

« Cela signifie que ce qui est par ailleurs une approche très sensée et acceptée – mettre un prix sur le carbone – est maintenant si difficile que les gouvernements ne sont pas prêts à s’engager dans cette voie ou que cela est fait de telle manière que le champ des options politiquement acceptables est si étroit qu’il est presque inutile ».

 

Il est difficile de ne pas faire le parallèle avec la politique climatique au Canada aujourd’hui.

Le vote majoritaire uninominal à un tour a incité les conservateurs de l’opposition à utiliser des éléments du plan climatique contre les libéraux impopulaires, transformant les outils climatiques les plus efficaces de la boîte à outils d’un gouvernement en un débat polarisé, alimenté par l’esprit partisan.

Face à la vague croissante d’opposition, les Premiers ministres libéraux des provinces font pression sur le Parti libéral fédéral pour qu’il annule la taxe sur le carbone, tandis que la dirigeante libérale de l’Ontario, Bonnie Crombie, s’est engagée à ne jamais mettre en œuvre une taxe sur le carbone dans la province. 

Avec le scrutin majoritaire uninominal à un tour, même les politiciens centristes qui s’enorgueillissent d’une « politique fondée sur des données probantes », cherchant désespérément à obtenir les votes dont ils ont besoin dans les circonscriptions électorales, renoncent à exercer un leadership en matière de climat au profit d’un opportunisme politique grossier. 

Représentation proportionnelle : la voie vers le consensus et la protection des acquis climatiques

C’est un fait : les pays dotés d’une représentation proportionnelle agissent plus rapidement, adoptent des politiques plus fortes et obtiennent de meilleurs résultats en matière de climat.

Si vous vous demandez pourquoi, vous trouverez peut-être une partie de la réponse dans un article récent sur la décision de la Norvège de rendre tous les véhicules sans émissions d’ici à 2025 (c’est nous qui soulignons) :

« Comme le système proportionnel et multipartite de la Norvège produit souvent des gouvernements de coalition et de minorité, les émissions n’ont pas été politisées comme elles l’ont été dans d’autres pays… L’objectif de rendre toutes les nouvelles voitures non polluantes d’ici 2025 a été soutenu par tous les partis.

Une culture de collaboration entre les partis, ainsi qu’un certain degré de continuité dans les partis formant le gouvernement, peuvent avoir un impact profond et durable sur la politique climatique. 

En 2020, neuf partis danois (dont les conservateurs) ont coopéré pour adopter la législation climatique la plus ambitieuse au monde. Quels que soient les partis qui formeront le gouvernement à l’avenir, les citoyens, les investisseurs et le monde entier peuvent être sûrs que le Danemark s’engage à lutter contre le changement climatique sur le long terme.

Systèmes électoraux, politique climatique et partis populistes de droite

Si des changements de politiques et de priorités se produisent lorsque les gouvernements changent dans les pays à représentation proportionnelle, les fluctuations sont généralement beaucoup moins marquées. 

Ces dernières années, la plupart des gouvernements européens sont passés à droite. Sur les 22 pays européens considérés comme des démocraties libres, appliquant la représentation proportionnelle et dotés d’un système parlementaire, treize sont aujourd’hui dirigés par des gouvernements multipartites de droite. Trois autres pays ont des grandes coalitions qui incluent des partis de droite. 

Pourtant, au lieu de subir les revers politiques massifs sur le climat que nous semblons condamnés à subir au Canada, bon nombre de ces mêmes pays continuent à se classer en tête de l’indice de performance du changement climatique année après année, même si les gouvernements changent de mains.

En d’autres termes, les politiques élaborées avec le soutien de plusieurs partis sont conçues pour durer. 

Même lorsque des partis populistes de droite, généralement hostiles à l’action climatique, sont élus, les plans et les objectifs climatiques à long terme peuvent perdurer. Des recherches récentes évaluant l’impact des partis populistes de droite dans trente et un pays de l’OCDE montrent que la représentation proportionnelle atténue leur impact sur la politique climatique. 

 

 

C’est dans les pays dotés d’un système électoral majoritaire uninominal à un tour, ont conclu les chercheurs, que « la politique climatique peut être la plus vulnérable à l’influence des populistes « grand public » de droite qui accèdent au pouvoir » et que « leurs effets négatifs sur la politique climatique sont beaucoup plus prononcés ».

Comme l’a déclaré Donald Trump lors d’un rassemblement où il a annoncé qu’il allait déchirer le Clean Power Act en 2017 : 

« Vous avez vu ce que j’ai fait ? Boom, c’est fini ! »

En 2015, un Premier ministre nouvellement élu, Justin Trudeau, a tristement déclaré aux délégués de la COP 2015 :

« Le Canada est de retour, mes bons amis. 

Nous sommes ici pour vous aider. 

Pour construire un accord qui fera la fierté de nos enfants et de nos petits-enfants ».

 S’il avait été honnête, il aurait lu à haute voix les petits caractères : « À condition que je tienne ma promesse sur la réforme électorale”.

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