Assemblées citoyennes : une démarche éprouvée pour donner la parole aux citoyens

(Mise à jour du 14 novembre 2019 — cliquez ici pour une version facile à imprimer de ce document.)

Introduction

Le Conseil d’administration de Représentation équitable au Canada a décidé d’ajouter les assemblées citoyennes comme élément stratégique de sa campagne pour la réforme électorale. Ce document est une version mise à jour d’un document approuvée par le Conseil le 10 mars 2019

La prémisse de base est que les assemblées citoyennes devraient être un moyen privilégié de consulter le public sur des questions complexes comme celle de la réforme électorale. À la veille du référendum en Colombie-Britannique, le chef libéral Andrew Wilkinson avait adopté la position selon laquelle une assemblée citoyenne devrait être un élément indispensable de tout processus de réforme électorale.

Bien entendu, on peut imaginer des situations dans lesquelles il existe un fort consensus qui permettrait d’adopter un mode de scrutin proportionnel en utilisant d’autres mécanismes de consultation publique. Toutefois, une assemblée citoyenne aiderait à combler une lacune importante dans la plupart des circonstances prévisibles. It s’agit de passer le flambeau à un corps délibératif de citoyens, confiants dans la sagesse de nos compatriotes lorsqu’on leur donnera les outils dont ils ont besoin pour délibérer et parvenir à un consensus.

La mise à jour de la stratégie de Représentation équitable au Canada de 2019 intègre une assemblée citoyenne comme élément additionnel de notre approche stratégique. 

Le Problème

Le passage de la représentation uninominale à la représentation proportionnelle est l’une des réformes politiques les plus difficiles faire passer. Au niveau fédéral canadien, on est resté embourbé depuis que Mackenzie King fut le premier à promettre la représentation proportionnelle en 1921. À la suite d’échecs comme le référendum de la Colombie-Britannique, la recherche d’une meilleure façon d’élire nos représentants semble aussi intraitable que jamais. 

Elle ne devrait pas l’être. Tout comme nous devons surmonter les obstacles politiques et lutter contre le changement climatique, gérer la dette nationale et combattre les inégalités de revenus, nous devons également trouver un moyen de remédier aux insuffisances de notre système électoral si nous voulons préserver notre démocratie des ravages de la partisanerie extrême et du cynisme face à notre droit de suffrage dans un système où la plupart des votes n’ont aucun effet quant au résultat.

Les citoyens comprennent l’enjeu. Les politiciens aussi, lorsqu’ils s’éloignent de leurs intérêts partisans. Au Québec, le consensus en faveur de la représentation proportionnelle est particulièrement fort et on s’entend à ce qu’une loi de réforme électorale soit promulguée dans un proche avenir. Pourtant les référendums concernant cet enjeu n’ont pas donné des résultats permettant d’ouvrir la porte au changement. 

Malgré l’échec du référendum en Colombie-Britannique, un sondage mené par researchco.ca quelques jours après le référendum a montré qu’une forte majorité de citoyens soutiennent les principes de la représentation proportionnelle en dépit d’avoir voté contre la réforme. Quoi faire lorsque les citoyens eux-mêmes votent contre la réforme, comme ils l’ont déjà fait à plusieurs reprises? 

Commençons par reconnaître la valeur limitée des référendums sur une question si chargée de considérations partisanes et facilement manipulée par les opposants à la réforme. Reconnaissons aussi qu’il n’est pas possible de mener une campagne d’éducation du public digne de ce nom en se fiant principalement sur les arguments des promoteurs et des opposants. En Colombie-Britannique, le public s’en est retrouvé confus et a fini par voter selon des lignes partisanes. 

Une autre leçon du référendum en Colombie-Britannique est que le processus est important. En voulant contrôler la manière dont la question était formulée et la manière dont les derniers détails d’un système réformé seraient réglés, le gouvernement de la Colombie-Britannique a permis aux opposants à la réforme d’en faire une question partisane.

On aurait pu s’attendre à ce que les électeurs se révoltent contre l’approche ouvertement partisane adoptée par les opposants, mais ce n’est pas ce qui est arrivé. Au lieu, les électeurs se sont rangés derrière les partis qu’ils soutiennent et contre l’éventualité que leur parti soit obligé de partager le pouvoir en coalition avec d’autres partis. Remarquablement, environ 85 % des électeurs libéraux ont voté contre la réforme. Selon des travaux de régression sur les résultats du référendum par circonscription, une part importante des électeurs plus âgés du NPD semble également avoir voté contre la réforme.

Nous sommes d’avis que les intérêts partisans sont au cœur du problème, y compris :

  • les intérêts partisans des partis politiques élus pour former le gouvernement grâce à notre système uninominal actuel, 
  • les intérêts partisans des titulaires qui craignent de perdre leur siège si le système électoral devait être modifié et 
  • les préférences partisanes des électeurs eux-mêmes.

Nous devons trouver un moyen de surmonter ces obstacles partisans au changement. Nous devons construire le consensus social en faveur du changement auquel Justin Trudeau et d’autres ont fait allusion. Les référendums sont mal conçus pour atteindre ces objectifs. Comme le montrent les récents référendums sur le Brexit et celui de la Colombie-Britannique, les référendums sont un facteur de division, non pas un moyen de forger le consensus social, en particulier aux mains des groupes « opposants » et « promoteurs » dont les efforts publicitaires sont une parodie d’une véritable d’éducation publique.

Notre proposition

Il existe d’autres façons de faire, qui devraient s’inspirer d’une approche fondée sur les droits selon quoi chaque vote devrait avoir la même valeur. On a fait appel dans le passé à de nombreuses commissions indépendantes. Une telle approche a beaucoup de mérites et ne doit pas être négligée. Toutes les commissions et tous les processus indépendants sont parvenus jusqu’à présent aux mêmes conclusions en faveur de la réforme

En ce qui concerne l’engagement des citoyennes et citoyens, on a eu recours à deux assemblées citoyennes — une en Colombie-Britannique et une en Ontario — et divers moyens d’engager les citoyens directement au Québec.

Ce qui distingue ces processus des référendums, c’est qu’ils impliquent une approche délibérative et d’apprentissage dans laquelle les citoyens interagissent les uns avec les autres et avec des experts pour tirer leurs propres conclusions. Les recherches menées par les auteurs de When Citizens Decide montrent que les assemblées citoyennes aboutissent à des points de vue consensuels relativement dépourvues de considérations partisanes, selon des principes démocratiques choisis par les participants eux-mêmes. Les assemblées citoyennes sont de plus en plus utilisées dans le monde entier pour trouver un consensus sur des questions complexes et conflictuelles. 

À la lumière de ces divers constats, nous considérons que la meilleure voie vers un système électoral proportionnel  serait l’organisation d’une assemblée citoyenne nationale plutôt qu’un référendum. L’objectif serait de permettre à une assemblée représentative des citoyens d’examiner les défis auxquels notre système électoral actuel est confronté et de proposer une voie à suivre reflétant le consensus atteint par cette assemblée, y compris des recommandations sur la mise au point des derniers détails et les étapes de mise en oeuvre à suivre pour garantir que les intérêts des citoyens soient respectés. Nous nous attendons à ce que le mandat de l’assemblée citoyenne comprenne la prise en compte de toutes les options de systèmes, y compris le statu quo.

Assurer la légitimité de la démarche

Un tel processus citoyen aiderait à vaincre la résistance partisane qui accompagne certains types de changement et renforcerait la légitimité et la confiance des électeurs dans le processus de choix. Pour que cela fonctionne, le processus lui-même doit être crédible, non pas une façade ou une consultation mise en place pour produire un résultat prédéfini. Des animateurs et des experts indépendants seraient chargés de veiller à ce que l’assemblée citoyenne soit bien équipée pour comprendre les enjeux, y compris les réalités politiques.

Pour éviter toute manipulation, le processus devrait être conçu par un organisme indépendant sans appartenance partisane choisi de manière consensuelle par un comité multipartite, avec la participation de la société civile. On pourra s’inspirer des assemblées citoyennes de la Colombie-Britannique et de l’Ontario qui ont engendré des démarches du même genre ailleurs dans le monde.

Les détails de ces processus sont disponibles dans l’ouvrage When Citizens ’Decide. En bref, ces deux assemblées étaient composées respectivement de 160 et 103 membres, comprenant un nombre égal d’hommes et de femmes. Les citoyens ont été choisis au hasard à partir de la liste électorale. Les participants ont ensuite été choisis au hasard parmi ceux et celles qui étaient intéressés. Les travaux comprenaient une phase d’apprentissage, une phase de consultation, une phase de délibération et une phase de vote et de rapport.

Un processus fédéral exigerait un plus grand nombre de personnes pour s’assurer que même les plus petites provinces et les différentes régions du pays comptent chacun quelques membres au sein du groupe. Cela n’exigerait pas que tout le travail soit effectué à Ottawa. Vers la fin du processus, les solutions envisagées par l’assemblée citoyenne seraient présentées aux caucus de tous les partis pour sonder leurs réactions et donner la chance à l’assemblée de répondre. 

Une proposition de ce type intéresserait un large public, y compris des organisations de la société civile autres que Représentation équitable au Canada. Nous pensons qu’il existe un fort intérêt pour l’engagement indépendant et non partisan des citoyens et citoyennes, comme en témoigne la croissance rapide du nombre d’assemblées citoyennes et de jurys citoyens ailleurs dans le monde (voir notre document de référence).

À la suite du récent référendum en Colombie-Britannique, le sondage des votants effectué par Researchco.ca a révélé que,

Près de quatre Britanno-Colombiens sur cinq (78 %) sont d’accord pour dire que les politiciens sont en conflit d’intérêts lorsqu’il s’agit de prendre des décisions concernant notre façon de voter, et souhaiteraient que toute proposition future associe un organisme citoyen indépendant et non partisan. Cela comprend 77 % de ceux qui ont voté pour la représentation proportionnelle et 82 % de ceux qui ont voté pour le maintien du système uninominal majoritaire à un tour.

Nous pensons qu’une assemblée citoyenne pourrait nous aider à surmonter les obstacles politiques, tout en créant une base solide de consensus concernant la direction à suivre. 

Sommaire et conclusion 

En résumé, nous savons à quel point il est difficile de passer d’un mode de scrutin à un autre. Forger une alliance politique pour le changement est une condition sine qua non, mais la réussite d’une démarche politique menant à la promulgation d’une loi de réforme électorale exige également la permission sociale de le faire et des mesures de pression de la part des citoyennes et citoyens dont les intérêts démocratiques sont en jeu.

Les référendums peuvent contribuer à l’atteinte de ces objectifs dans des circonstances très spéciales, mais dans la pratique, ne nous ont pas bien servi. En tant que mécanisme, ils sont trop facilement exploités à des fins partisanes et ne permettent pas de résoudre efficacement des problèmes complexes impliquant des intérêts opposés. Les référendums sont une approche du gagnant rafle tout. Ce n’est pas ce qu’il nous faut. Ce qu’il nous faut, c’est une approche qui respecte les droits civiques de tous les citoyens.

Nous proposons donc une autre façon de consulter les citoyens : une assemblée citoyenne, en complément d’autres mécanismes. Les assemblées citoyennes sont de plus en plus utilisées dans le monde entier et offrent les avantages suivants:

  • Elles sont représentatives de la population en général.
  • C’est une approche fondée sur l’apprentissage, dans laquelle les citoyens consacrent un temps considérable à l’étude des enjeux, en sachant que leur temps et leurs dépenses seront compensés.
  • Il s’agit d’un processus délibératif et facilité dans lequel les citoyens sont invités à dépasser leurs préférences partisanes en se concentrant sur des principes partagés. C’est une approche qui a fait ses preuves.
  • Une telle démarche jouit d’une légitimité considérable car les participants sont un corps représentatif des citoyens qui n’a aucun intérêt direct dans le résultat.
  • Elles reposent sur un modèle à l’abri des ingérences et des manipulations politiques.
  • Les assemblées citoyennes peuvent être utilisées pour discuter de questions dans lesquelles les politiciens se trouvent dans une impasse et sont incapables de s’accorder pour des raisons politiques.

En tant qu’organisme de plaidoyer pour la réforme électorale, Représentation équitable au Canada n’a aucun souhait, ni la légitimité, pour dicter comment devrait être organisée une telle assemblée, encore moins d’en déterminer les résultats. Cependant, l’existence de modèles et de règles de procédure établis offre une protection considérable contre les abus. 

En ce qui concerne le résultat final, nous sommes confiants en nous référant à l’expérience acquise à ce jour qu’un groupe de citoyens jouissant de la possibilité d’étudier la question et d’en délibérer à fonds aboutira à la même conclusion que nous, à savoir que notre système électoral est en panne et qu’il doit être réparé. 

Ce que nous demandons, en fin de compte, c’est que les politiciens reconnaissent eux-mêmes qu’ils sont en conflit d’intérêt, et qu’ils devraient donner aux citoyens eux-même l’occasion d’étudier la question et de recommander la voie à suivre basée sur leurs délibérations.

Documents et liens supplémentaires

En français : 

En anglais seulement : 

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