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Accès des femmes à la vie politique

Il existe de nombreuses recherches sur les effets des systèmes électoraux sur la participation des femmes en politique. Le travail révolutionnaire d’Arend Lijphart (2012) sur les systèmes électoraux et la démocratie a montré que la part des femmes dans les organes parlementaires était de huit points de pourcentage plus élevée dans les pays utilisant un mode de scrutin proportionnel. Cette corrélation positive entre la représentation proportionnelle et le nombre de femmes élues aux assemblées législatives est bien établie dans la littérature.

Alors que la participation des femmes à la vie politique ne peut s’expliquer que par un large spectre de variables, la communauté de recherche s’entend pour déclarer que la représentation proportionnelle élit plus de femmes. Selon la théorie la plus largement acceptée, les circonscriptions plurinominales permettent à plus de femmes d’être élues parce que les partis voudront présenter une liste diversifiée de candidats pour atteindre un plus large éventail d’électeurs.

Le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et la chambre basse de l’Australie votent tous avec des systèmes électoraux majoritaires et affichent tous un taux de femmes extrêmement bas dans leurs assemblées législatives. Aucun n’atteint ou ne dépasse l’objectif plancher fixé par les Nations Unies, soit une représentation de 30% des femmes en politique. En comparaison, les parlements des pays à mode de scrutin proportionnel comme la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne, la Suède et le Danemark comptent tous plus de 30% de femmes. La Suède arrive en tête du classement avec 45%.

Au Canada, il y a plus de femmes qui se présentent aux élections. Il y avait 533 candidates aux élections fédérales en 2015. Toutefois, seulement 16,5% d’entre elles ont été élues. La représentation des femmes à la Chambre des communes du Canada a augmenté au fil des ans, mais n’était encore que 26% en 2018.

 White space

Menocracy, résumé dans cette capsule, est un documentaire traitant des barrières auxquelles se heurtent les femmes en politique canadienne

Gretchen Kelbaugh, qui a produit le film Menocracy, est scénariste, auteur, journaliste et cinéaste. Sa biographie « With All Her Might: The Life of Gertrude Harding, Militant Suffragette » est publiée dans trois pays. Son livre de rimes amusantes pour les enfants,« Lollipopsicles », a remporté plusieurs prix. Gretchen a remporté deux fois le concours pour le développement de scénarios de Radio-Canada au Festival du film de l’Atlantique. L’un de ses films, « 106 Fire Hydrants », a été produit pour la chaîne nationale CBC-TV en 1999. Depuis lors, Gretchen a produit et dirigé de façon indépendante des documentaires et des pièces de théâtre qui ont été diffusés dans le monde entier, remportant plusieurs prix pour ses livres et vidéos. Elle travaille de chez elle, au bord de la rivière Kennebecasis au Nouveau-Brunswick.

Avec ma double citoyenneté, j’ai grandi dans la fierté de savoir que le Canada et les États-Unis étaient des phares de la démocratie. Après tout, nos gouvernements ont leurs racines au Royaume-Uni. Une démocratie devrait représenter les opinions de ses citoyens : comment alors les nôtres se comparent-ils aux autres quant à leur représentation des femmes?

L’Union interparlementaire classe les parlements nationaux des grandes démocraties en fonction du pourcentage de femmes élues. Voici le classement selon la proportion de femmes dans les gouvernements de quelques pays à mode de scrutin proportionnel (prop.) ou majoritaire (maj.) de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) en 2015 : 

Voici comment et pourquoi

Lorsque j’ai demandé à des universitaires pourquoi certains pays comme le Canada se classent loin derrière tant d’autres, j’ai été choquée par la principale raison évoquée : nous utilisons un mode de scrutin différent de celui utilisé par presque toutes les autres grandes démocraties. La plupart utilisent une forme de vote proportionnel, tandis que nous nous accrochons à l’archaïque système majoritaire uninominal à un tour.

À l’échelle mondiale, ce schéma se répète : des cinq pays dans le monde qui comptent 30% ou plus de femmes parlementaires dans leur chambre unique ou basse (Suède, Norvège, Finlande, Danemark et Pays-Bas), trois ont un système électoral proportionnel, et deux, un système électoral proportionnel mixte; aucun n’a un système majoritaire. Parmi les huit pays qui comptent 25-29 % de femmes dans leur chambre basse ou unique (Nouvelle-Zélande, Seychelles, Autriche, Allemagne, Islande, Argentine, Mozambique et Afrique du Sud), tous ont des systèmes électoraux proportionnels ou mixtes; encore une fois, aucun n’a un système majoritaire. Tout en bas du classement, dans les pays où 10 % ou moins de femmes siègent à la Chambre basse ou unique du Parlement, une proportion beaucoup plus élevée d’entre eux utilisent un système électoral majoritaire; près de 90 % des pays n’ayant aucune femme parlementaire sont des pays à mode de scrutin majoritaire.

Le Dr Joanna Everitt, doyenne des arts à l’Université du Nouveau-Brunswick à Saint John et professeure de sciences politiques spécialisée dans le domaine Femmes et politique, est actuellement chercheuse invitée dans le programme Femmes et politiques publiques de l’Université Harvard. Elle soutient que, si le Canada adoptait un système de scrutin à représentation proportionnelle, notre pourcentage de femmes parlementaires augmenterait d’au moins 10 % dès les prochaines élections.

Mais pourquoi est-ce si important d’élire plus de femmes au gouvernement?

Premièrement, les attitudes diffèrent selon le sexe. Des études distinctes au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis montrent que les femmes politiques (comme les femmes en général) ont tendance à se préoccuper davantage que leurs collègues masculins des questions sociales telles que la santé, l’éducation et la pauvreté. À l’inverse, les politiciens masculins ont tendance à se soucier davantage de l’économie, de l’armée et des affaires étrangères. Réunissez les deux sexes, et tout est couvert. Bien sûr, il y a beaucoup d’exemples de femmes et d’hommes qui dérogent à ces règles générales. Les sexes se ressemblent plus qu’ils ne diffèrent. Néanmoins, de légères variations de 5 % à 15 % dans les attitudes des députés peuvent entraîner de grandes différences dans la législation et les politiques gouvernementales.1

La deuxième raison pour laquelle nous avons besoin de plus de femmes pour concevoir et adopter les lois qui régissent la société est que leurs expériences diffèrent de celles des hommes. Les femmes continuent à s’occuper davantage des soins aux enfants et aux personnes âgées; elles assument plus de la moitié du travail ménager (un engagement en temps); elles vivent différemment le milieu de travail (demandent plus de congés, rencontrent plus de harcèlement, se heurtent au plafond de verre); elles font moins d’argent; et sont beaucoup plus susceptibles d’être victimes de violence familiale et sexuelle. Nous avons besoin des perspectives des  femmes pour élaborer des lois et des politiques qui traitent plus équitablement de ces domaines de la vie. En fait, presque tous les domaines touchent différemment les femmes, de la fiscalité et l’équité salariale à la loi sur le divorce.

Troisièmement, les femmes et les hommes ont tendance à privilégier des styles de leadership différents. Aujourd’hui encore, nous assimilons de fortes qualités de leadership au comportement masculin typique. La très honorable Kim Campbell souligne dans Menocracy que les hommes ont tendance à défier, à prendre des positions fortes et à favoriser une hiérarchie du pouvoir. Les femmes, qui ont appris toute leur vie à coopérer et à négocier, ont tendance à aimer les styles de leadership fondés sur le partage du pouvoir et le consensus, styles désormais adoptés par le secteur des TI. Aucun style n’est supérieur à l’autre, mais un mélange de styles de leadership favorise un meilleur gouvernement.

Enfin, parce que les dirigeantes ont tendance à négocier plus longtemps que les hommes lors de décisions militaires, la scène mondiale changera lorsque la moitié de nos dirigeants seront des femmes. Kim Campbell l’exprime bien: « Les filles ne sont pas socialisées à démontrer certaines formes de bravade et de courage physique, etc., pour se définir comme des membres de leur sexe, comme le sont les garçons. Donc, je pense que la valeur que les femmes apportent, c’est qu’elles n’ont pas le même besoin d’être perçues comme fortes de cette façon…. Il n’y a pas de ‘force gonad’-ale’ à démontrer, et je pense que, pour cette raison, les femmes sont beaucoup plus à l’aise pour examiner toutes les options et tenter de voir au-delà de la rhétorique et de l’excitation que suscite la possibilité de violence. » Pour de nombreuses raisons essentielles, la société a besoin d’un nombre égal de femmes et d’hommes pour établir les règles et les politiques qui nous touchent tous de si près.

Comment le mode de scrutin proportionnel crée-t-il des gouvernements qui reflètent mieux la société, non seulement avec plus de femmes, mais avec plus de minorités? C’est simple. La proportionnelle incite naturellement les partis à donner plus de choix aux électeurs. Elle fait en sorte que chaque grand parti donnera aux électeurs le choix de plus d’un candidat sur leur bulletin de vote. Dès que chacun présente plus d’un candidat, les incitatifs offrant au public équilibre et diversité commencent à fonctionner.

Une recherche substantielle a été menée qui comparait les résultats entre les pays utilisant des systèmes majoritaires uninominaux à un tour et ceux ayant des systèmes proportionnels. Arend Lijphart (2012), un politologue de renommée mondiale, a passé sa carrière à étudier les différences entre les démocraties majoritaires et « consensuelles » à mode de scrutin proportionnel. Dans son étude phare – Patterns of Democracy – Lijphart a comparé 36 démocraties sur une période de 29 ans et constaté que dans les pays utilisant des systèmes proportionnels, 8% plus de les femmes étaient élues au parlement que dans les pays munis de modes de scrutin majoritaires. Selon lui, « la représentation des femmes dans les parlements et les cabinets est une mesure importante de la qualité de la représentation démocratique en tant que telle, et peut également servir indirectement de mesure de la représentation générale des minorités » (traduction libre).

Lijphart résume bien le tout quand il dit : « L’égalité politique est un objectif fondamental de la démocratie et le degré d’égalité politique est donc un indicateur important de la qualité démocratique ». À notre taux de croissance actuel, il faudra près de 100 ans avant que le Canada atteigne un nombre égal de femmes et d’hommes au parlement et dans les législatures. Accélérons cela en exigeant que nous rattrapions le reste du monde démocratique et passons à un système de représentation proportionnelle pour que TOUS nos votes comptent!


1. Entrevues avec Dr Joanna Everitt, Dr Susan Carroll (CAWP, Rutgers, USA) et Dr Rosie Campbell (Birkbeck, UK) dans Menocracy.

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