Le 7 février, 39 députés libéraux et 3 députés conservateurs ont voté contre la position de leur parti, se joignant au NPD, aux Verts et au Bloc pour voter en faveur de la motion M-86 pour une Assemblée nationale citoyenne sur la réforme électorale.

Au cours des dernières semaines, les députés se sont exprimés sur ce qui s’est passé et sur l’importance de continuer à se battre pour faire avancer la réforme électorale.

Mike Morrice, député du Parti vert, a parlé avec passion dans l’émission de Mike Farwell sur CityNews de la façon dont vous avez fait la différence (l’entrevue de Mike commence à 35:10) : 

« Nous avons eu 39 députés libéraux qui ont voté pour la motion et 3 députés conservateurs. Les députés votent avec leur parti dans 99,5 % des cas. Le fait qu’un tel nombre de députés votent d’une manière qui donne la priorité à leurs communautés…. 

Je pense à l’organisation que les gens ont faite. Toute cette mobilisation de la base a eu un impact. Ces votes sont le fruit du pouvoir populaire.”

La députée néo-démocrate Lisa Marie Barron, auteur de la motion, a déclaré au Hill Times : 

« Je pense que c’est un très bon signe de voir que des députés de tous les partis conviennent qu’il s’agit d’une question qui doit être traitée en priorité. Je pense que cela reflète également le dévouement d’un grand nombre de personnes à travers le pays, qui ont veillé à ce que cette question soit au centre des préoccupations des députés.

Je veillerai à ce que ce soit l’une de mes toutes premières priorités si je suis réélue au prochain Parlement.”

Nous tenions particulièrement à partager avec vous un communiqué du député libéral Nathaniel Erskine-Smith intitulé « Nous avons encore tué la réforme électorale », dans lequel il expose sans détour son point de vue sur les intérêts personnels et les erreurs de tous les partis en matière de réforme électorale et sur leurs conséquences. Le texte est détaillé, mais il vaut la peine d’être lu. Nous l’avons copié dans son intégralité ci-dessous.

Nous avons encore tué la réforme électorale et vous n’en avez même pas entendu parler.

Imaginez si nous ne l’avions pas fait.

Nate Erskine-Smith
22 février 2024

Il y a 7 ans, nous avons tué la réforme électorale.

Il y a deux semaines, nous avons encore tué l’idée, et vous n’en avez probablement même pas entendu parler.

Bien sûr, la motion M-86 n’aurait pas apporté immédiatement une réforme électorale au Canada. Mais elle aurait relancé la conversation par le biais d’une assemblée citoyenne.

Plus précisément, la motion parlementaire demandait au gouvernement de créer une assemblée citoyenne pour « déterminer si une réforme électorale est recommandée pour le Canada et, dans l’affirmative, recommander des mesures spécifiques qui favoriseraient une démocratie plus saine ».

Malgré un sondage EKOS montrant un soutien global de 76 % pour l’idée (73 % des libéraux et 69 % des conservateurs), et malgré le soutien à l’idée lors de la convention nationale d’orientation des libéraux pour 2023, le gouvernement a choisi de la rejeter.

Il s’avère que le gouvernement ne veut toujours pas parler de réforme électorale.

Ce n’est pas tout à fait vrai.

CTV News a rapporté que « les équipes de Trudeau et de Singh planifient discrètement une loi sur la réforme électorale ».

Cela semble prometteur.

Sauf que cette loi ne fera apparemment que ces trois choses :

  • permettre une période de vote « élargie » de trois jours lors des élections générales ;
  • permettre aux électeurs de voter dans n’importe quel bureau de vote de leur circonscription ; et
  • améliorer le processus de vote par la poste.

Rien de tout cela n’est controversé. Mais, d’un autre côté, est-ce que tout cela a vraiment de l’importance ?

Revenons en arrière et imaginons 2015, avec la promesse d’un véritable changement dans l’air. Ces trois améliorations à peine perceptibles constituent-elles un « vrai changement » ?

Nous promettons de faire en sorte que chaque vote compte !

Nous promettons un changement technique pour rendre le vote légèrement plus facile !

J’ai depuis longtemps un parti pris en faveur de la réforme électorale. Avant d’être élu, j’ai participé à des activités de sensibilisation au niveau local avec le Mouvement pour la représentation équitable au Canada.

Comme je l’ai déjà écrit, nous vivons dans une démocratie représentative, et notre démocratie devrait être plus représentative de l’endroit où nous vivons. Je crois en la valeur des parlements minoritaires, de la coopération et d’une approche moins partisane de notre politique.

Je pense que le va-et-vient entre les différents gouvernements majoritaires nuit à l’élaboration de politiques raisonnables à long terme.

Je suis manifestement minoritaire au sein du Parlement à penser de la sorte, étant donné que le projet de loi M-86 a été sèchement rejeté par 220 voix contre 101.

Il convient toutefois de noter que 39 députés libéraux ont voté en faveur de la motion M-86, et que ce nombre aurait été nettement plus élevé si le gouvernement n’avait pas pris position sur la motion et avait encouragé un vote libre à la place. Trois députés conservateurs ont même voté en sa faveur !

Pour comprendre pourquoi les deux partis dominants de la politique canadienne peuvent être sceptiques à l’égard de la réforme électorale, il est utile de se pencher sur notre histoire électorale.

Au cours des 20 dernières élections fédérales (sur les 60 dernières années), le Parti libéral a surpassé son vote populaire (c’est-à-dire qu’il a obtenu un pourcentage plus élevé de sièges par rapport à son pourcentage de vote populaire) 16 fois sur 20 au total (exceptions : 2011, 2008, 1988 et 1984).

Ce n’est qu’en 1984 et 2011 que le Parti libéral a été particulièrement maltraité par le scrutin uninominal à un tour. En 2011, il a obtenu 18,9 % du vote populaire et 11 % des sièges à la Chambre, alors qu’en 1984, il a obtenu 28 % du vote populaire et seulement 14,2 % des sièges.

Au cours de cette même période, les partis conservateurs ont dépassé leur pourcentage de vote populaire 15 fois sur 20 (exceptions : 2015, 2000, 1997, 1993, 1968, bien que seul le Parti conservateur ait fait moins bien en 1997 que le Parti réformiste).

L’année 1993 a été particulièrement mauvaise pour les progressistes-conservateurs, qui ont obtenu 16 % du vote populaire et seulement 0,7 % des sièges à la Chambre.

Comment le NPD se débrouille-t-il en comparaison ? Très, très mal.

Au cours de ces 20 élections, le nombre de sièges du NPD n’a dépassé son vote populaire qu’une seule fois. En 2011. Et seulement de 2,8 %.

Si l’on additionne tous les pourcentages de sous-performance par rapport au vote populaire depuis 1962, on obtient un total de 136,9 %.

Dans un souci d’exhaustivité, le Bloc Québécois a dépassé son vote populaire 8 fois sur 10 depuis sa création en 1993, le Parti Vert n’a jamais fait autre chose que de sous-performer lors de 7 élections depuis sa création en 2004, et le Parti Populaire du Canada n’a jamais eu de siège à la Chambre des Communes lors de deux élections.

Le scrutin uninominal à un tour punit clairement les tiers et les petits partis dans notre système multipartite (et au niveau provincial, cela signifie punir les partis libéraux pour l’instant).

Compte tenu des enjeux, il semble qu’il y ait trois conclusions générales à tirer :

  1. Après avoir réduit en cendres la promesse de réforme électorale, le Premier ministre et le gouvernement libéral ne veulent plus jamais parler de réforme électorale.Je pense qu’il est dans l’intérêt du pays d’empêcher le pouvoir quasi absolu d’un gouvernement conservateur majoritaire de Poilievre, alors qu’une majorité de Canadiens ne souhaite pas ce résultat. Mais il n’est pas nécessairement à l’avantage du Parti libéral de s’éloigner du SMUT si l’histoire est un indicateur de succès futur, et les réformateurs libéraux ont tendance à se diviser entre les votes par classement et les systèmes proportionnels (il est possible de surmonter ce problème, mais nous devrions en reparler !)

     

  2. Malgré le soutien de trois députés, la direction et le parti continuent de considérer la réforme électorale comme une menace. Et compte tenu de la consolidation du PC et de Reform/Alliance, ce n’est pas étonnant. La division des votes à droite est limitée, et encore moins probable avec Poilievre à la barre, étant donné qu’il parle parfois le même langage que Bernier (conspirations du WEF, mandats anti-vaccins, pro-convoi, anti-trans, etc.)
  3. Les dirigeants du NPD n’ont pas compris l’importance de la réforme électorale pour leur propre cause. Il y a une motion au Parlement soutenue par votre propre député sur une question qui préoccupe votre base et beaucoup d’autres. Elle est essentielle au succès à long terme de votre parti. Et dans un jeu de stratégie électorale, les libéraux ne veulent certainement pas provoquer des élections à cause d’une assemblée citoyenne sur la réforme électorale, compte tenu de leur popularité actuelle.

Si vous ne négociez pas le soutien à une assemblée citoyenne dans ces circonstances, c’est peut-être que vous ne comprenez pas vraiment que votre parti a obtenu un résultat inférieur au vote populaire 19 fois sur 20 depuis 1962.

Une assemblée citoyenne n’est pas une solution absolue.

Nous avons eu des assemblées en Ontario et en Colombie-Britannique, suivies de référendums qui ont échoué. Il n’y a aucune garantie que cela conduise à un changement.

Mais c’est aussi l’occasion de relancer une conversation qui a été interrompue trop tôt.

Et c’est une conversation qui mérite d’être menée de manière réfléchie, en dehors de tout intérêt partisan.

Prenons l’exemple du défi lancé par le Premier ministre et d’autres, selon lequel un système plus proportionnel « donnerait plus de pouvoir aux partis marginaux« . Il ne fait aucun doute que c’est le cas de certains systèmes de représentation proportionnelle.

Une réponse réfléchie serait de fixer un seuil de 5 % que les partis doivent atteindre pour obtenir des sièges supplémentaires à la Chambre.

On pourrait aussi considérer que la plus grande menace pour notre démocratie est que l’un de nos partis de gouvernement naturels soit repris par un radical. Ne devrions-nous pas être plus inquiets de voir Bernier prendre le contrôle du Parti conservateur (il a failli le faire !) que de voir Bernier représenter 5% des sièges à la Chambre des Communes ?

Leslyn Lewis et Cheryl Gallant sont des membres du Parti conservateur qui défendent le point de vue du Parti populaire. 

Pierre Poilievre veut que nous klaxonnions pour la liberté et les toilettes de la police et il pourrait bien devenir Premier ministre du Canada.

Au sud de la frontière, l’exemple est encore plus extrême. Donald Trump a pris la tête du parti républicain et a une chance plus que décente de redevenir président des États-Unis. Je ne comprends même pas comment ces mots peuvent être réels au moment où je les écris, mais ils le sont.

Le scrutin uninominal à un tour peut décourager les nouveaux partis marginaux. Mais il ne fait pas grand-chose pour décourager les marginaux de prendre le contrôle des partis existants. Ce qui me semble pire.

Il n’y a rien de nouveau ici, mais le SMUT fausse aussi considérablement le pouvoir d’un parti politique par rapport à son soutien populaire.

À l’heure où j’écris ces lignes, 338 Canada donne les conservateurs en tête avec 41 % du vote populaire, ce qui donnerait un gouvernement majoritaire.

Les libéraux (25 %), le NPD (19 %), le Bloc (7 %) et les Verts (5 %) totalisent 56 % des voix. Tous ces partis croient au changement climatique, pour ne citer qu’un exemple. Ils ne croient pas à l’austérité ou à la réduction des services de garde d’enfants, par exemple.

Au plus fort de la popularité des conservateurs (ou de l’impopularité des libéraux ?), au moins 56 % des Canadiens souhaitent encore une orientation plus progressiste pour leur pays.

Et pourtant, en raison de notre système électoral, nous pourrions bien nous retrouver avec un gouvernement majoritaire qui ne se contente pas de réduire les émissions de gaz à effet de serre de la manière la plus efficiente et la plus efficace qui soit.

Imaginez que nous n’ayons pas rompu notre promesse de réforme électorale.

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