La représentation proportionnelle exigerait-elle un amendement constitutionnel?

Les détracteurs prétendent parfois que la représentation proportionnelle exigerait un amendement à la Constitution ou pourrait être contestée en vertu de la Constitution.

En réalité, la représentation proportionnelle conçue pour le Canada, qu’il s’agisse de la représentation proportionnelle mixte, du vote unique transférable ou d’une version hybride des deux, n’est en fait qu’un projet de loi.

Le seul modèle de représentation proportionnelle qui est inconstitutionnel au Canada est un système où les compétences provinciales ne seraient pas respectées. Par exemple, la mise en œuvre d’un système à listes à l’échelle du pays, comme en Israël. Un tel système ne convient pas au Canada et n’a d’ailleurs jamais été proposé.

Origine du mythe

Le préambule de notre constitution se lit comme suit :

« Attendu que les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de s’unir en une fédération ayant statut de dominion de la couronne du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande et dotée d’une constitution semblable dans son principe à celle du Royaume-Uni ».

Les détracteurs se sont saisis de l’idée selon laquelle le mode de scrutin majoritaire uninominal et les circonscriptions à membre unique font partie de la constitution du Royaume-Uni. Or, ce n’est pas le cas.

En effet :

  • En 1867, même le R.-U. n’avait pas exclusivement recours au scrutin majoritaire uninominal. En 1832, près de 62 circonscriptions ont élu deux députés. Aux alentours de l’année 1867, quatre villes britanniques avaient trois députés au lieu de deux, élus par « vote limité », un système semi-proportionnel.
  • Au XIXe siècle, même le Canada n’avait pas exclusivement recours au scrutin majoritaire uninominal. En 1885, l’Ontario a copié le « vote limité » du Royaume-Uni dans une circonscription de Toronto avec trois députés provinciaux.
  • En vertu des articles 40 et 41 des Lois constitutionnelles de 1867, le parlement fédéral est autorisé à modifier ses propres règles électorales.
  • Si les systèmes électoraux étaient inscrits à la Constitution, ils s’appliqueraient de la même façon aux provinces. Or, nous avons adopté 10 réformes du système électoral au niveau provincial, incluant le vote unique transférable proportionnel, auquel le Manitoba a eu recours de 1927 à 1953.
  • En 2004, la Commission du Droit du Canada, a publié son rapport intitulé « Un vote qui compte : la réforme électorale du Canada » et a recommandé la représentation proportionnelle mixte. Ce rapport a été rédigé par d’éminents juristes, dont Nathalie DesRosiers, maintenant doyenne de la section de common law à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Ce rapport stipulait : « Nous visons dans le présent rapport à proposer des améliorations à nos règles électorales qui pourront être mises en place sans qu’il soit nécessaire de procéder par voie d’amendement constitutionnel; nous n’abordons donc pas la question de la réforme du Sénat ».
  • Ce sont au total 12 commissions et assemblées au Canada qui maintenant recommandent une représentation proportionnelle purement canadienne, revenant ainsi à une recommandation fédérale de 1979. Il est très peu probable que tous aient ignoré la Constitution.

Malgré cela, deux juristes américains ont récemment soutenu dans un article du National Post que la RP était inconstitutionnelle. Comme l’explique le professeur Dennis Pilon dans sa réplique très fouillée au National Post You can’t hide behind the Constitution to spare us electoral reform :

« Ces efforts de vouloir présenter le mode de scrutin comme faisant partie de la Constitution sont une innovation relativement récente qui manque de perspective historique ».

Maryam Monsef, ministre des Institutions démocratiques du Canada, a déclaré que toute réforme électorale s’inscrira « dans le cadre de la Constitution ».

Le gouvernement s’est fixé un échéancier réaliste pour faire compter chaque vote en 2019. Il ne devrait pas se laisser distraire par les craintes non fondées de ses détracteurs.

Références

Wilf Day’s Blog on MMP for Canada [en anglais].

You can’t hide behind the constitution [en anglais] de Dennis Pilon, expert en matière de réforme électorale.

History of STV in Canada [en anglais].

Un vote qui compte : la réforme électorale du Canada [PDF en anglais], Commission du Droit du Canada (2004).

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