Énoncé de Représentation équitable au Canada sur les référendums

Version du 1 décembre 2019. Original approuvé par le conseil d’administration le 29 novembre 2019.

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Référendums sur la réforme électorale : on peut faire mieux

Bien qu’il soit important de donner la parole aux citoyens lorsqu’il s’agit de réforme électorale, la plupart des autres pays ayant adopté la représentation proportionnelle ont fait la transition sans recourir aux référendums. Au Canada, nous avons eu plusieurs référendums, mais cela ne nous a pas bien servi. 

Le mouvement pour la Représentation équitable au Canada considère que les référendums sont inappropriés pour les enjeux mettant en jeu les droits des citoyens. Ajoutons à cela que les référendums sont de plus en plus faciles à manipuler par les intéressés voulant maintenir leur pouvoir de force à l’ère de la désinformation et des campagnes de peur. 

La position de Représentation équitable au Canada est qu’il existe de meilleures façons de consulter la population. Les assemblées citoyennes, de plus en plus utilisées au Canada et ailleurs, offrent un forum plus constructif et moins diviseur pour aborder des questions complexes comme la réforme électorale.

Antécédents

Contrairement à ce que beaucoup de gens pourraient penser, les référendums sur la réforme électorale ne sont pas la norme ailleurs dans le monde. Dans toute l’histoire, seulement deux pays ont adopté la représentation proportionnelle par référendum : la Suisse en 1918 et la Nouvelle-Zélande en 1992. 

Le Canada a une longue histoire de changements apportés à notre système électoral sans référendum. Il s’agit notamment de : l’élargissement du suffrage à de nouveaux groupes, dont les femmes et les peuples autochtones: d’importantes réformes du financement électoral et d’autres aspects importants de notre système électoral; ainsi que d’importants changements au système électoral lui-même au Manitoba, en Alberta et en Colombie-Britannique. 

L’utilisation de référendums sur la réforme électorale au Canada a fait ses débuts en mai 2005 en Colombie-Britannique et on a eu recours jusqu’ici à sept référendums de ce genre dans diverses provinces. Si bien que de nombreuses personnes considèrent aujourd’hui le référendum comme une condition préalable nécessaire à la modification du système électoral. Au Québec, un gouvernement qui a été élu après avoir promis d’adopter une réforme électorale avec l’appui des autres partis propose maintenant la tenue d’un référendum avant de procéder. 

Il y a de bonnes raisons de consulter les citoyens avant de réformer le mode de scrutin. Le mode de scrutin étant le mécanisme par lequel les citoyens élisent leurs représentants, il semble naturel que le leadership des citoyens eux-mêmes soit essentiel à l’établissement des règles du jeu. Toutefois, le référendum n’est qu’une façon parmi d’autres de consulter les citoyens et n’est pas nécessairement la meilleure pour l’objectif visé.

Lorsque la Commission parlementaire spéciale sur la réforme électorale (ERRE) a tenu ses audiences en 2016, le sujet des référendums a été fréquemment abordé et a été un point de discorde majeur autour de la table. Par contre, 67 % des 84 experts qui se sont prononcés sur le sujet étaient contre les référendums sur un sujet aussi complexe que la réforme électorale. Beaucoup ont cité le référendum Brexit de juin 2016 en tant qu’exemple frappant de la façon dont les référendums peuvent mal tourner. 

Dans leur rapport complémentaire, les députés libéraux de l’ERRE se sont prononcés longuement sur le sujet d’un référendum et leur opposition à l’idée d’un référendum a été l’une des principales raisons invoquées par le gouvernement libéral pour rejeter les recommandations de l’ERRE. 

… de nombreux témoignages font référence à des cas dans lesquels des campagnes référendaires ont démontré un important parti pris en faveur du statu quo et été utilisées de manière efficace pour saper les tentatives de réforme. La partie en faveur de tout référendum contre le statu quo doit démontrer les raisons pour lesquelles il s’agit d’une option préférable à une norme établie, tandis que la partie contre un référendum peut miser sur l’anxiété, l’incertitude et la peur… Compte tenu des incertitudes entourant les référendums, nous estimons que d’autres méthodes de consultation doivent être examinées à titre d’options envisageables. À défaut, l’idée que la poursuite de l’examen parlementaire serait suffisante et bénéfique a été proposée par plusieurs témoins et demeure une possibilité.

Limites d’autres méthodes de consultation

Lorsqu’on se penche sur les méthodes de consultation autres que le référendum, il faut tenir compte de trois critères : 

  • la spécificité de la question posée;
  • la possibilité pour les répondants de porter un jugement mûrement réfléchi;
  • la capacité de sonder le point de vue du grand public, au delà des plus intéressés. 

Les formes plus courantes de consultation publique telles que les élections, les sondages, les réunions publiques ou les consultations en ligne sont toutes soumises à des limites selon l’un ou l’autre de ces critères. 

Les élections peuvent fournir un mandat de changement en permettant aux électeurs d’opter pour des partis et des candidats qui ont promis une réforme électorale comme ils l’ont fait au niveau fédéral en 2015, lorsque 63 % des électeurs ont appuyé les trois partis ayant promis la réforme électorale (les libéraux, le NPD et le Parti vert). En 2003, tous les partis aux élections provinciales du Québec ont appuyé la réforme électorale, à la suite des travaux des États généraux qui ont démontré un niveau élevé d’appui populaire pour la proportionnelle. Cependant, la réforme électorale occupe rarement une place prépondérante dans les campagnes électorales — en tant que question de nature générale, elle a tendance à être éclipsée par les enjeux immédiats du jour. Certains politiciens évitent carrément la question. 

Les sondages d’opinion nous permettent de prendre le pouls des citoyens sur des questions de principe général. Ainsi, les sondages d’opinion comme celui mené par Angus Reid en novembre 2019 sont un excellent instrument pour savoir ce que les gens attendent d’un système électoral, si les questions sont bien conçues. En fait, les citoyens qui répondent à ces sondages s’expriment systématiquement en faveur de valeurs démocratiques compatibles avec la représentation proportionnelle. Cependant, la réforme électorale est un sujet complexe et les sondages sont un instrument brutal qui ne permet pas l’éducation, le dialogue et la réflexion dont les répondants auraient besoin pour aborder convenablement de tels sujets. 

Les réunions publiques et les consultations en ligne comme celles menées par l’ERRE tendent à mobiliser les citoyens les plus intéressés. En 2016, les consultations ERRE ont été l’une des plus vastes consultations publiques au pays. De telles consultations donnent une bonne idée de ce que les citoyens les plus engagés pensent d’une question, mais ne sont pas forcément représentatives de la population générale.  

Référendums

Les référendums complètent d’autres mécanismes consultatifs en posant une question spécifique, généralement litigieuse, à tous les citoyens pour approbation ou rejet. Ils encouragent les citoyens à être mieux informés et leur donnent l’occasion de s’engager directement dans les grands dossiers. 

Cependant, les résultats peuvent facilement être manipulés. Dans la pratique, ceux qui réclament des référendums sur la réforme électorale sont le plus souvent ceux qui s’opposent à la réforme électorale ou qui sont ambivalents. Il peut s’agir de partis politiques et de gouvernements dont les caucus sont divisés sur la question de la réforme électorale. Un référendum peut facilement devenir une soupape d’évasion adoptée par les opposants au changement et peut être utilisé pour retarder la réforme. 

L’un des principaux arguments contre les référendums est qu’ils sont biaisés en faveur du statu quo. S’il est normal et sain pour les citoyens d’être prudents avant d’appuyer le changement, il n’est que trop facile pour les opposants à la réforme de saboter les référendums en semant la confusion et en menant des campagnes de peur.

Arthur Lupia, spécialiste de l’engagement des électeurs, du traitement de l’information, de la persuasion, de la communication stratégique et de la compétence civique, a témoigné devant l’ERRE en tant que professionnel de l’Université du Michigan :

Dans une campagne référendaire, le camp du « non » jouit d’un énorme avantage, nonobstant la question législative devant être tranchée. C’est vrai partout dans le monde, et vous vous demandez peut-être pourquoi. C’est parce que, dans le cas d’une campagne du « non », vous contestez un changement et les gens ne savent pas de quoi la vie aura l’air si ce changement est adopté. Dans le cadre d’une campagne type du non, vous imaginez le pire des scénarios et en faites le point central de votre campagne.

L’avantage dont jouissent les opposants au changement en semant la peur et la confusion est considérable. Le professeur Lupia ajoute :

En Californie, où il existe une industrie professionnelle des référendums, les gens sont soucieux de leur bilan de victoires et d’échecs. La plupart des gens se tiendront loin d’une campagne du oui à moins de 70 % d’opinion favorable un an avant le jour du vote. C’est parce que les gens reconnaissent qu’il est plus facile de mener une campagne du non. Tout le monde prétend que les appuis pour le camp du oui baisseront au fil du temps, la question restant à savoir si les appuis seront supérieurs ou inférieurs à 50 % le jour du vote. Il est très rare que les appuis pour le oui augmentent au cours d’une campagne. Cela arrive, mais c’est très rare.

Une autre question importante au sujet des référendums sur la réforme électorale est de savoir s’il s’agit d’un processus approprié. Personne n’aurait jamais préconisé un référendum lorsqu’il s’agissait d’étendre le droit de vote aux femmes ou aux peuples autochtones, car l’extension du droit de vote est une question de droits et la majorité ne devrait pas être autorisée à priver une minorité de ses droits. Personne n’aurait considéré comme légitime un référendum sur l’abolition de l’esclavage. 

Or, le défaut de notre système majoritaire uninominal majoritaire à un tour est précisément qu’il prive certaines personnes d’une possibilité significative et efficace d’élire un représentant de leur choix. Il n’est pas convenable de soumettre une question de droits à un référendum. 

En fin de compte, les référendums ont pour effet de retarder davantage les réformes recommandées par de multiples commissions et assemblées depuis des décennies dans notre pays et ne peuvent nous protéger contre le biais du statu quo ou l’assaut de désinformation et de propagande alarmiste auquel on peut attendre de la part de ceux dont le pouvoir est menacé, y compris les médias de masse. 

C’est ainsi en connaissance de cause que trois des cinq partis actuellement représentés au Parlement — les libéraux, les néo-démocrates et le Parti vert — ont exprimé de sérieuses préoccupations au sujet des référendums sur la réforme électorale. 

S’il doit y avoir un référendum sur la réforme électorale qui fasse du sens, le référendum devrait être proposé et géré non pas par des politiciens, mais par un groupe indépendant de citoyens sans intérêt direct dans le résultat. Il devrait comprendre un financement adéquat pour l’éducation significative du public et être appuyé par une réglementation appropriée en matière de publicité véridique. 

Une approche digne d’être imitée serait celle du processus d’examen des initiatives citoyennes (Citizens’ Initiative Review) utilisé en Oregon, qui réunit des groupes d’électeurs choisis au hasard pour évaluer une mesure référendaire et donner aux électeurs des renseignements auxquels ils peuvent se fier. Ce serait une bien meilleure utilisation des fonds publics que l’allocation de fonds publics pour soutenir les partisans du oui et du non. 

Une assemblée citoyenne

Les défis posés par les référendums sur la réforme électorale donnent à penser qu’il faut se pencher sur des approches plus approfondies qui donnent aux citoyens l’occasion d’étudier une question et de délibérer entre eux avant d’arriver à leurs conclusions. 

Le mécanisme des assemblées citoyennes satisfait ce critère. Les assemblées citoyennes rassemblent des citoyens ordinaires, choisis selon un échantillon aléatoire structuré, qui sont chargés d’étudier des sujets complexes comme la réforme électorale, d’en délibérer et de parvenir à un consensus correspondant aux intérêts du grand public. Une assemblée citoyenne serait l’occasion pour les citoyens d’examiner plus en profondeur les avantages et les inconvénients de la modification de notre système électoral et de partager leurs conclusions et recommandations. 

Représentation équitable au Canada préconise l’organisation d’une assemblée citoyenne de taille gérable qui se réunirait plusieurs fois en personne. Entre-temps, ces délégués communiqueraient entre eux par voie électronique et participeraient à des consultations et à des discussions publiques dans différentes régions du pays. 

Pour maximiser la légitimité d’un processus d’assemblée de citoyens, des occasions supplémentaires de participation du public devraient être un élément central du processus. À tout le moins, cela signifierait tenir des consultations publiques partout au pays et offrir des possibilités en ligne aux citoyens qui souhaitent participer. 

Idéalement, l’assemblée des citoyens pourrait être complétée par d’autres formes de consultations délibératives, telles que les cercles d’étude ou les sondages délibératifs. Tout comme l’assemblée des citoyens elle-même, ces processus permettent aux personnes consultées de s’informer sur le sujet et d’interagir entre eux avant de soumettre leurs réponses. 

Nous sommes d’avis qu’un processus citoyen robuste de ce genre éliminerait la nécessité d’un référendum. La position de Représentation au Canada est qu’une assemblée citoyenne combinée à d’autres formes de consultation publique délibératives serait un meilleur moyen de déterminer les souhaits de l’électorat qu’un référendum.

Documentation supplémentaire 

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