La représentation proportionnelle au Canada entraînerait-elle la multiplication effrénée des partis?

Les détracteurs qui prétendent que la représentation proportionnelle au Canada pourrait entraîner l’apparition de partis marginaux n’ont pas fait leurs devoirs. Tous les modèles de représentation proportionnelle proposés pour le Canada, qu’il s’agisse par exemple de représentation proportionnelle mixte ou du vote unique transférable, sont des systèmes modérément proportionnels. Tous ont été conçus pour permettre aux députés de rester proches des collectivités locales, tout en assurant des résultats proportionnels.

Dans quelle mesure les partis marginaux peuvent-ils facilement remporter des sièges dans un système de représentation proportionnelle purement canadien? En fait, toutes les propositions présentées par les partisans d’une réforme électorale exigeraient qu’un candidat ou un parti aient un appui local raisonnablement important (au moins 5 %) pour être élus.

Même si certains petits partis arrivaient à atteindre certains de leurs objectifs – et pourquoi pas? – ce seront toujours les grands partis qui forment le gourvernement et qui détiennent l’essentiel du pouvoir.

Par ailleurs, il faut se rappeler que personne ne propose un système de représentation proportionnelle pure avec une liste de candidats nationale, comme c’est le cas aux Pays-Bas. La plupart des pays prévoyant un système de représentation proportionnelle imposent un seuil qu’un parti doit atteindre avant d’obtenir un siège. En Suède et en Norvège, ce seuil est de 4 %. En Nouvelle Zélande, pays qui a adopté un système de représentation proportionnelle mixte (ou RPM), un parti doit recueillir 5 % des votes ou une circonscription pour se qualifier à des sièges compensatoires. En Allemagne, autre pays ayant adopté la RPM, le seuil est de 5 % ou trois circonscriptions.

Mettons ce niveau d’appuis en perspective : il a fallu 20 ans au Parti Vert du Canada pour franchir le seuil des 5 % lors de l’élection de 2008, en baisse à près de 3,8 % aux deux dernières élections. Amener près d’un million de Canadiens à voter pour un parti n’est pas une mince affaire.

Un mode de scrutin sur mesure pour le Canada

La plupart des partisans d’une réforme de notre système électoral s’entendent pour dire que nous avons besoin d’un système de représentation proportionnelle purement canadien. Alors que plus de 90 pays ont adopté une forme de représentation proportionnelle, le Canada pourrait s’appuyer sur les meilleures pratiques utilisées dans le monde entier pour mettre au point son nouveau système.

Représentation proportionnelle mixte

La représentation proportionnelle mixte est un système par lequel nous continuerions à élire la plupart de nos députés locaux dans des circonscriptions uninominales. Les électeurs qui ne sont pas représentés par les résultats locaux élisent des députés régionaux. Cela complète les résultats locaux de manière à ce que le nombre total de députés corresponde à la part du vote.

Un système canadien de RPM a-t-il besoin d’un seuil? La Commission du Droit du Canada, dont le rapport de 2004 intitulé « Un vote qui compte : La réforme électorale du Canada » a recommandé la RPM, pensait que non.

La raison en est simple : Une RPM conçue avec un modèle proportionnel adapté autant que possible au Canada se traduirait par des régions faisait élire de12 à 14 députés (dont les deux tiers seraient des députés de circonscription élus comme aujourd’hui et le tiers restant des députés régionaux sur une liste ouverte). Le seuil naturel pour remporter un siège dans une région de 12 à 14 sièges serait de 7 à 8 % des votes. Or un parti qui remporte de 7 à 8 % des votes peut difficilement être qualifié de « parti marginal ».

En raison de la géographie du pays, du besoin de créer des régions qui s’harmonisent naturellement, et des frontières provinciales, ce ne sont pas toutes les régions du Canada qui pourraient faire élire de 12 à 14 députés. Plus la région est petite, plus le seuil pour remporter un siège est élevé. Dans une région de 8 députés (5 locaux et 3 régionaux), le seuil pour remporter un siège serait de près de 12,5 %.

Vote unique transférable

Le vote unique transférable (ou VUT) est un système proportionnel qui utilise le mode de scrutin préférentiel dans une circonscription à plusieurs membres pour élire une équipe de députés locaux.

Un système canadien de VUT a-t-il besoin d’un seuil?

Prenons l’exemple d’une circonscription avec un mode de scrutin à VUT qui a fait élire une équipe de 5 députés. Le seuil naturel pour permettre à un candidat d’obtenir un siège dans cette circonscription serait de quelque 17 %, bien que parfois, en fonction de la situation, le dernier candidat élu pourrait remporter un siège avec un pourcentage un peu inférieur, mais il serait très inhabituel que le candidat vainqueur ait obtenu moins de 10 % des appuis initialement.

Même dans une circonscription avec un mode de scrutin à VUT de huit députés, pouvant être utilisé dans un grand centre urbain comme Toronto ou Vancouver, le seuil naturel pour remporter un siège serait d’environ 11 %. Il serait donc très inhabituel que le candidat élu ait obtenu moins de quelque 5 % des appuis initialement.

Dans la plupart des régions du pays, la vaste majorité des électeurs votent pour le député du parti de leur premier choix au moyen du VUT (p. ex. : Dans 3 circonscriptions à 4 sièges à Toronto, nous estimons que 96 % des électeurs éliront un député appartenant à leur parti favori) et les résultats globaux sont fortement proportionnels pour tous les grands partis. Même si nous prenions des circonscriptions relativement petites (2 à 4 sièges), les balayages régionaux seraient pratiquement éliminés et les « avantages des leaders », si fréquents dans notre système électoral actuel, seraient réduits de manière significative.

Cependant, dans les petites circonscriptions à l’extérieur des grands centres urbains, la VUT constitue un défi pour les électeurs du Parti Vert. Même avec une augmentation importante de leur part du vote au moyen de la RP, ces électeurs ne seraient pas en mesure de faire élire des députés Verts dans plusieurs régions du Canada.

Il existe un modèle encore plus proportionnel que le VUT : il s’agit du VUT+.

Tout comme la RPM, la VUT+ ajoute un niveau de députés régionaux à des sièges compensatoires à ceux élus dans les circonscriptions locales. Puisque le VUT est déjà un mode de scrutin très proportionnel, seulement près de 15 % de députés régionaux seront nécessaires pour rendre les résultats très proportionnels, ce qui signifie que les électeurs du Parti Vert pourraient faire élire des députés dans une proportion qui se reprocherait davantage du vote populaire.

L’Irlande a adopté le vote unique transférable. Le nombre actuel de partis au parlement irlandais est de 7, plus les députés indépendants. Comme mentionné précédemment, le dernier parlement du Canada était composé de 6 partis, plus les députés indépendants.

Conclusion au sujet de la représentation proportionnelle et des partis marginaux

L’idée selon laquelle la représentation proportionnelle au Canada pourrait entraîner l’apparition de partis marginaux n’est pas fondée et ne fait que démontrer que les sources qui le prétendent n’ont pas fait leurs devoirs.

Des seuils de 3 à 5 % sont habituellement intégrés aux systèmes de RP et constituent certainement une option viable pour éviter que de petits partis régionaux accèdent à des sièges compensatoires, mais en règle générale, un seuil est intégré à tous les modèles conçus pour le Canada.

Au cours des trois dernières élections fédérales, le parti juste après le Parti Vert et le Bloc Québécois n’a pas recueilli plus de 0,21 % du vote populaire (le Parti Libertarien du Canada en 2015). Le pourcentage de votes remportés collectivement par les 15 à 20 plus petits partis n’a jamais dépassé 1 %. Sans une véritable consolidation de la base, il est fortement improbable que même un de ces partis ne puisse remporter un siège en vertu du système de RP canadien, que ce soit sur la scène fédérale ou provinciale. Prétendre le contraire serait tout simplement irresponsable.

Le véritable défi est d’amener nos politiciens à concevoir le système le plus proportionnel possible pour le Canada, afin de faire participer les Canadiens plutôt que de les tenir à l’écart.

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