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Une faiblesse du mode de scrutin majoritaire uninominal est que de légères variations dans le soutien populaire peuvent entraîner de grands changements dans les résultats, aboutissant à des renversements des politiques. De la même manière, un effet boule de neige peut aboutir à la défaite accidentelle de députés pourtant très populaires. Cela nous amène à nous poser la question à savoir si la représentation proportionnelle pourrait aider à éviter de telles variations et à prévoir plus facilement la réélection de députés efficaces.

Les chercheurs Matland et Studlar se sont penchés sur cette question, à l’aide du même l’échantillon de 36 pays sur une durée de 20 ans qui figurait dans la recherche novatrice de Lijphart (voir Annexe 1). Ils ont comparé le renouvellement des élus, une élection à la fois, pour des pays ayant des modes de scrutin différents.

Pour le Canada, le mode de scrutin majoritaire semblait produire un taux de renouvellement (défaite du député sortant) relativement élevé de 40 % contre une moyenne de renouvellement de 32 % dans l’ensemble des pays (mode de scrutin majoritaire ou proportionnel). Cela ne va pas surprendre les politiciens canadiens et les résultats des élections de 2015 au Canada étaient un bon exemple pour montrer combien le renouvellement peut atteindre un taux élevé dans le mode de scrutin actuel du Canada.

Les chercheurs ont conclu que la relation qui existe entre les modes de scrutin et la réélection était complexe et que la meilleure façon de l’aborder était du point de vue des caractéristiques spécifiques des modes de scrutin, notamment la « focalisation sur les candidats » − dans quelle mesure les électeurs s’attachent davantage aux personnes des candidats plutôt qu’aux partis. Les chercheurs ont trouvé que dans les modes de scrutin axés sur les candidats, les députés en mesure de récolter de bons résultats parce qu’ils sont aimés des électeurs locaux ou régionaux, ont plus de chance d’être renommés et encore plus de chance d’être réélus. Cela était moins probable dans les modes de scrutin où les préférences des électeurs allaient principalement aux partis, comme ce serait le cas dans les représentations proportionnelles à scrutin de liste ou bien les modes de scrutin majoritaire fortement centrés sur un parti (comme au Canada).

Figure 1: Plots of election-to-election variability (prime ministerial party) over time in party and candidate-centered systems (95% confidence intervals).

Cela a été confirmé par Soderland, qui s’est servi de données relatives à des séries chronologiques transversales sur près de 300 observations[…] pour 23 pays de l’OCDE entre 1961 et 2014, et de deux indices de la « focalisation sur les candidats » dans les modes de scrutin. Son analyse montre que les changements anticipés dans les résultats électoraux pour les partis au pouvoir étaient systématiquement plus faibles dans les modes de scrutin axés sur les candidats.(1) Comme il est indiqué dans les graphiques à droite pour chacun des deux indices à l’étude, cela s’est renforcé au fil du temps.

Cela suggère que les taux de réélection seraient plus élevés dans les pays munis de modes de scrutin proportionnels qui sont axés sur les candidats, telles que le vote unique transférable ou le mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire. C’est effectivement ce qu’on observe.

Vote unique transférable et réélection

L’Irlande est le pays qui est le plus souvent cité lorsqu’on parle du mode de scrutin à vote unique transférable. L’Irlande utilise un mode de scrutin à vote unique transférable avec des districts de 3 à 5 sièges. Elle atteint ainsi un niveau élevé de proportionnalité tout en maintenant une connexion locale entre les députés et leurs commettants. Gallagher remarque que :

« Pour l’Irlande, 1927–97 […] 75,0 pour cent des membres du Dáil ont été réélus, 8,5 pour cent ont pris leur retraite, 10,7 pour cent ont été battus par des candidats d’autres partis, et 5,9 pour cent ont été battus par des candidats au sein de leur propre parti. »(2)

En comparant les taux de réélection de 25 pays, Matland et Studlar ont trouvé que l’Irlande avait le quatrième taux le plus élevé de réélection. Redmond et Regan ont examiné une période plus longue en Irlande et ont trouvé une supériorité de réélection(3) encore plus marquée :

«Entre 1927 et 2011, les membres de la chambre basse (Dáil Éireann) du parlement irlandais ont été réélus, en moyenne 81,7 pour cent du temps. Ce taux de réélection figure parmi les plus élevés du monde. »(4)

Au lieu des va-et-vient dans l’attribution des sièges et de la perte de députés locaux talentueux accompagnant un « balayage » d’un parti par un autre dans le cadre du mode de scrutin majoritaire uninominal, le mode de scrutin à vote unique transférable permet de prendre des décisions plus nuancées. Ce type de scrutin permet aux électeurs de garder les députés locaux qui se sont bien acquittés de leurs fonctions, tout en représentant avec plus de précision la diversité des électeurs.

Proportionnelle mixte compensatoire et réélection

La proportionnelle mixte compensatoire donne elle aussi un taux de réélection beaucoup plus élevé que la plupart des autres modes de scrutin proportionnels. La plupart des candidats se présentent des deux côtés du bulletin – du côté de la circonscription et du côté du parti régional. Ainsi, les représentants peuvent passer d’un siège local à un siège compensatoire, et vice versa. Les députés qui font un travail efficace et qui sont battus au niveau local peuvent quand même être élus au niveau régional. Comme le remarquent Matland et Studlar :

« La possibilité de s’inscrire sur les deux listes est relativement courante dans les modes de scrutin mixtes comme en Allemagne. Comme on peut s’y attendre, la double inscription des candidats sur les listes a un effet important et positif sur les possibilités de renouvellement. »

Plus de 85 pour cent des candidats élus en Allemagne lors des élections de 1998 se sont présentés aux deux niveaux. Massicotte a montré qu’en Allemagne, la probabilité qu’un membre remplisse tour à tour deux types de mandats au cours de sa carrière parlementaire est de un sur cinq. Parmi les 53 députés qui ont exercé les plus longs mandats, pas moins de 27 (plus de la moitié) se sont trouvés dans les deux situations.(5) Matland et Studlar (2004) ont trouvé que le taux de réélection dans quatre élections en Allemagne était le troisième plus élevé dans les 25 pays qu’ils ont étudiés, pour cette même raison.

Résumé

Les tendances à l’échelle mondiale indiquent une évolution vers une meilleure représentation de la diversité des électeurs dans les pays ayant des modes de scrutin à partis multiples, grâce à l’adoption de modes de scrutin proportionnels et au choix de modes proportionnels offrant aux électeurs un plus grand choix électoral entre les candidats du même parti. Les données suggèrent que les modes de scrutin à représentation proportionnelle tels que le vote unique transférable et la proportionnelle mixte compensatoire offrent aux députés une plus grande chance d’être réélus que ne le font les modes de scrutin majoritaire où de légères variations des votes entraînent de grands changements dans l’attribution des sièges.

Le vote unique transférable est associé à de taux élevés de réélection, car les représentants très populaires sont réélus par les électeurs locaux. La proportionnelle mixte compensatoire est accompagné de taux élevés de réélection parce que les représentants peuvent être élus soit pour des sièges locaux, soit pour des sièges compensatoires. Dans l’absence de listes fermées, les députés régionaux sont tenus responsables et ne sont pas à l’abri de la défaite.

Notes

1. Soderland, Peter (2016). Candidate-centred electoral systems and change in incumbent vote share: A cross-national and longitudinal analysis. European Journal of Political Research 55: pp. 321-339.

2. Gallagher, Michael (2000). The (Relatively) Victorious Incumbent under PR–STV: Legislative Turnover in Ireland and Malta, Elections in Australia, Ireland and Malta under the Single Transferable Vote. Shaun Bowler et Bernard Grofman, éd. Ann Arbor: University of Michigan Press, pp. 81-113.

3. Matland, R. E. et D. T. Studlar (2004), Determinants of legislative turnover: a cross-national analysis. British Journal of Political Science 34, pp. 87-108.

4. Redmond, Paul et Regan, John (2013). Incumbency Advantage in Irish Elections: A Regression Discontinuity Analysis.

5.  Massicotte, Louis (2004) In search of a compensatory mixed electoral system for Quebec.

 

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