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L’histoire du VUT au Canada

La plupart des Canadiens ne savent pas que le vote unique transférable (VUT) a connu une histoire remarquable au Canada au courant de dernier siècle. En fait, c’est la seule forme de représentation proportionnelle qui a été utilisée chez nous et chez notre voisin du sud. Au moment de son introduction, on l’appelait souvent simplement « représentation proportionnelle », puisque les autres systèmes proportionnels utilisés aujourd’hui dans le monde n’avaient pas encore été conçus.

Le VUT a d’abord été utilisé pour élire les conseillers municipaux à Calgary en 1916 et y est resté en usage jusqu’en 19741. En 1917, l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique a permis aux villes d’adopter le VUT et plusieurs villes l’ont fait vers la fin des années 1910 et 1920, dont Vancouver, Vancouver South, Victoria, Nelson, Port Coquitlam, Mission City, New Westminster et West Vancouver. Lethbridge, Edmonton, Regina, Moose Jaw, Saskatoon, North Battleford, Winnipeg, Transcona, St. James et St. Vital l’ont aussi utilisé à un moment donné, et les villes du Manitoba ont continué de l’utiliser jusqu’en 1971. Le Conseil municipal d’Ottawa a essayé d’introduire le VUT en 1916, mais leur projet a été bloqué par l’Assemblée législative de l’Ontario2. Au niveau provincial, le VUT a été utilisé pour élire les membres de la législature de la ville de Winnipeg de 1920 à 1955 et des villes d’Edmonton et de Calgary de 1920 jusqu’aux années 1950.

Aux États-Unis, le VUT a été utilisé dans plus de 20 villes à partir de 1915, dont des villes importantes comme New York, Cleveland, Cincinnati, Sacramento et Boulder. Cambridge et Minneapolis l’utilisent encore de nos jours.

Dans la plupart des cas, le VUT a été abandonné (habituellement malgré de fortes objections de la part de l’opposition) parce qu’il était très efficace pour donner une voix politique proportionnelle aux minorités. Ces batailles ont été particulièrement virulentes aux États-Unis où l’intention était de marginaliser les Afro-Américains et les socialistes.

Plus récemment, le VUT a été recommandé à quatre reprises au Canada :

  1. En 1978, le groupe de travail de la Commission sur la réforme du droit du Manitoba a recommandé d’adopter le VUT dans les régions urbaines et le vote préférentiel uninominal dans les régions rurales pour les élections provinciales.
  2. En 2004, l’Assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique a proposé le VUT pour les élections provinciales. Les électeurs de la Colombie-Britannique ont approuvé cette recommandation avec 58% de votes en sa faveur, mais n’ont pas atteint le seuil de super-majorité de 60% fixé par le gouvernement.
  3. En 2006, le premier ministre de l’époque, Stephen Harper, a déposé une loi de réforme du Sénat qui proposait d’utiliser le VUT pour élire les sénateurs.
  4. Le 9 juin 2016, le gouvernement provincial de l’Ontario a adopté une loi qui permet aux villes de l’Ontario d’élire des conseillers en utilisant le bulletin de vote préférentiel. Dans les villes ayant des quartiers plurinominaux, cela signifie le VUT.

Le VUT est présentement utilisé en Irlande, dans deux états et territoires australiens (la Tasmanie et le Territoire de la capitale australienne), au sénat australien (quoique le Sénat australien utilise une  forme de VUT qui s’apparente à une liste de parti), en Nouvelle Zélande pour les élections locales et les conseils de santé et en Écosse pour les élections locales. C’est aussi le système proportionnel préféré de la Société pour la réforme électorale du Royaume-Uni.

Comment fonctionne le VUT? L’idée de base

Le VUT permet aux électeurs d’élire une équipe de députés locaux en utilisant un bulletin de vote préférentiel. Ainsi, des groupes d’électeurs qui partagent les mêmes visions élisent leurs candidats préférés. Comme les voisins ne s’entendent pas nécessairement politiquement, chaque région géographique élit plus d’un député. Par exemple, cinq circonscriptions adjacentes qui élisent actuellement un député chacune pourraient être regroupées et les électeurs éliraient conjointement leurs cinq candidats favoris. N’importe quel candidat qui obtient une part prédéfinie du soutien électoral est assuré d’avoir un siège – 16% ou plus dans une circonscription à cinq sièges – quoiqu’un pourcentage plus bas soit parfois suffisant. Le nombre de députés élus par circonscription varierait pour s’adapter à la géographie de la région. Ceci signifie que certaines circonscriptions atteindraient une meilleure proportionnalité que d’autres, mais les résultats globaux à travers le pays seraient fortement proportionnels.

Chaque électeur a un seul vote. Le bulletin préférentiel permet qu’un vote pour un candidat éliminé ou qui aurait déjà atteint son quota soit attribué au prochain candidat dans l’ordre des préférences de l’électeur. Les électeurs peuvent déclarer leur ordre de préférence pour le nombre de candidats qu’ils veulent, et peuvent voter pour des candidats de différents partis s’ils le souhaitent. Le nombre de noms sur un bulletin est variable, mais raisonnable pour une circonscription de taille modérée, considérant que les électeurs sont susceptibles de se concentrer sur les candidats de leur parti préféré, ce qui en principe aboutirait à un choix réduit de candidats. L’exemple de bulletin ci-dessous montre à quoi on pourrait s’attendre pour une circonscription à quatre sièges :

Le décompte

La manière la plus simple de faire le décompte des bulletins VUT est la méthode du transfert immédiat plurinominal. En supposant que tous les sièges ne soient pas attribués au premier tour, on éliminerait le candidat qui obtient le moins de votes et on redistribuerait ses votes aux deuxièmes choix des électeurs. On répète l’opération jusqu’à ce qu’il y ait autant de candidats élus que de sièges. Cette approche est pareille à celle utilisée pour le vote préférentiel uninominal à un tour, sauf qu’elle est appliquée dans un contexte plurinominal.

La plupart des endroits utilisant le VUT y ajoutent néanmoins des mesures pour redistribuer aussi les votes excédentaires dont un candidat élu n’a pas besoin, dans l’objectif d’augmenter le nombre de votes qui comptent. C’est la méthode utilisée en Irlande et qui avait été recommandée par l’Assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique :

  1. Le principe est que chaque candidat élu devrait avoir obtenu le soutien d’environ le même nombre de voix. Le nombre de votes requis pour être élu est appelé un « quota » et représente le nombre de votes total divisé par le nombre de sièges plus un. Par exemple, s’il y a 1000 électeurs et 4 sièges, le quota sera 1000/(4+1) +1 = 201 votes.
  2. Tout candidat qui obtient le quota est assuré d’un siège. À chaque tour de décompte, si un ou plusieurs candidats ont plus de votes que le quota, les votes supplémentaires sont transférés au prochain choix sur le bulletin.
  3. La règle du transfert est ensuite appliquée en éliminant le candidat avec le moins de votes et en transférant ses votes au prochain candidat sur chaque bulletin.

Ces étapes sont répétées jusqu’à ce que tous les sièges aient été comblés.

À quoi pourrait ressembler le VUT au Canada?

Étant donné l’expérience significative du Canada avec le VUT, à quoi l’application de celui-ci pourrait-elle ressembler aujourd’hui? Dans sa forme la plus simple, le VUT regrouperait des circonscriptions existantes voisines et les électeurs éliraient une équipe de députés locaux qui les représenteraient collectivement. Le nombre de députés dans cette nouvelle circonscription pourrait varier de deux à dix ou plus. Par exemple, Winnipeg a élu dix députés à l’Assemblée législative provinciale à partir d’une seule circonscription englobant toute la ville pour les premières 25 années d’application du VUT au Manitoba.

Il appartiendrait à la Commission de délimitation des circonscriptions électorales de chaque province de décider combien de sièges devraient être attribués à chaque circonscription, en tenant compte des avis reçus durant le processus de consultation publique habituel. L’Assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique avait recommandé de plus petites circonscriptions en milieu rural, ne serait-ce que deux ou trois sièges, et de plus grandes circonscriptions allant jusqu’à six ou sept sièges dans les plus grandes villes.

Nous illustrons dans ce qui suit quelques exemples de circonscriptions VUT envisageables dans deux parties différentes du pays : l’Île de Vancouver et le centre de Toronto.

Île de Vancouver

L’Île de Vancouver élit présentement sept députés selon les circonscriptions délimitées dans la Figure 1. L’Île comporte trois régions distinctes : le nord, très peu peuplé, une série de petites villes près de la côte est vers le centre de l’île, et la région métropolitaine de Victoria au sud.

 

 

Figure 2

La figure 2 montre en foncé comment la population de l’île de Vancouver est distribuée. Si les élections de 2015 avaient été conduites selon le mode de scrutin VUT, la Commission de délimitation des circonscriptions électorales aurait pu configurer deux circonscriptions électorales : l’une comportant trois sièges pour la partie nord de l’île (incluant les villes plus populeuses de Nanaimo et Campbell River et s’étendant jusqu’aux communautés éloignées de Tofino et Port Hardy); l’autre comportant quatre sièges pour la partie sud (incluant la région métropolitaine de Victoria jusqu’à Duncan et les Îles du Golfe).

 

Lors des élections fédérales de 2015, le NPD a remporté environ 33% des votes, alors que les trois autres partis majeurs (les Partis libéral, conservateur et vert) ont obtenu chacun entre 21 et 24% des voix. Mais comme l’a voulu notre système électoral uninominal à un tour, le NPD a remporté six des sept sièges et le Parti vert le septième (voir la figure 3, qui compare les résultats sous le mode de scrutin majoritaire uninominal comparé à celui du VUT). Le Parti conservateur et le Parti libéral ont été tenus à l’écart même s’ils avaient récolté une part appréciable des voix.

Nos simulations suggèrent que sous le mode de scrutin VUT, si les électeurs avaient voté de la même manière qu’en 2015, la circonscription du nord aurait élu des députés de trois différents partis – le NPD, le PLC et le PCC – alors que la circonscription du sud aurait élu un député de chacun des quatre partis majeurs en liste. 

Ce résultat aurait beaucoup mieux représenté le suffrage exprimé et aurait permis à 94% des électeurs d’avoir un député de leur parti de premier choix, comparé à 40% sous le scrutin majoritaire uninominal à un tour (SMUT). Cet exemple illustre que le VUT est en mesure de donner un niveau relativement élevé de proportionnalité même avec des circonscriptions plurinominales de modeste taille (dans ce cas seulement trois ou quatre sièges).

En comparaison, la représentation proportionnelle mixte exige un minimum d’environ huit sièges par circonscription compensatoire pour atteindre un niveau acceptable de proportionnalité. Un tel nombre de sièges est nécessaire parce que le scrutin uninominal à un tour utilisé pour élire les députés locaux donne des résultats non-proportionnels qu’on ne peut pas corriger sans l’ajout de plusieurs sièges compensatoires.

Centre de Toronto

La région correspondant au centre-ville de Toronto a 12 sièges fédéraux à la Chambre des communes. Il s’agit d’une des régions les plus urbanisées du pays. Si les élections de 2015 s’étaient déroulées sous un mode de scrutin VUT, la Commission de délimitation des circonscriptions électorales aurait pu regrouper ces 12 circonscriptions en une seule, mais ce serait la plus grande circonscription VUT jamais utilisée au Canada. Ils pourraient aussi bien envisager soit deux circonscriptions de six sièges, une de huit et une de quatre, ou peut-être trois circonscriptions de quatre. En utilisant des circonscriptions à quatre sièges, l’une d’elle pourrait couvrir le centre et le sud de Toronto, une autre la portion ouest, et la troisième la portion est de la ville.

Aux élections fédérales de 2015, le Parti libéral a remporté 50% des voix, contre 25 % pour le NPD et 20 % pour les conservateurs. Le Parti libéral remportait toutefois la totalité des 12 sièges. Si nous avions utilisé le VUT avec trois circonscriptions de quatre sièges aux élections de 2015, notre simulation montre que le PLC aurait obtenu deux sièges dans chacune des trois circonscriptions VUT contre un siège chacun pour le NPD et le PCC.

Sur les 12 sièges, le PLC aurait donc remporté six sièges, le NPD et le PCC trois sièges chacun (figure 4), reflétant le suffrage exprimé des Torontois de façon proportionnelle. Nous calculons que 96% des électeurs auraient élu un député de leur parti de premier choix, comparé à 50% sous le scrutin uninominal à un tour.

Le Canada en entier

Nous avons aussi réalisé une simulation de ce qui serait arrivé au Canada en entier si nous avions utilisé le VUT à la grandeur du pays en 2015. Pour cette simulation, nous avons utilisé des circonscriptions d’en moyenne 4,3 sièges par circonscription, allant jusqu’à sept ou huit sièges dans certaines régions urbaines (incluant le Toronto métropolitain), et aussi peu que deux ou trois dans les régions rurales du pays. Nous avons retenu un seul député au Labrador.

Tel qu’indiqué dans le tableau ci-dessous, le Parti libéral a obtenu un peu moins de 40% des votes aux élections de 2015; le Parti conservateur, 32%; le NPD, 20%; le Bloc, 5%; le Parti vert, 3%. Cela a permis au PLC de remporter 54% des sièges; le PCC, 29%; le NPD, 13%; le Bloc; 3%; le Parti vert, un seul siège.

Si nous avions fait appel au VUT, nous estimons que le PLC aurait obtenu 43% des sièges; le PCC, 33%; le NPD, 19%; le Bloc, 4%; le Parti vert 2 sièges. Ce résultat n’est pas parfaitement proportionnel, mais il n’en demeure pas moins que 91% des électeurs auraient contribué à l’élection d’un député de leur parti favori, garantissant que la composition du Parlement aurait reflété beaucoup plus précisément le suffrage exprimé.

Ce qui est tout aussi remarquable, tous les partis majeurs auraient été représentés partout au pays : le PCC et le NPD auraient remportés quelques sièges dans le Canada Atlantique et à Toronto; le PLC aurait gagné des sièges dans les Prairies. De cette façon, le VUT aurait virtuellement éliminé la balkanisation du pays engendrée par notre système actuel.

 La grande distorsion qui demeure dans cette application du mode de scrutin VUT de base est que le Parti vert n’aurait élu que deux députés, alors qu’un suffrage proportionnel aurait dû lui en donner 11 ou 12. Les partisans du Parti vert sont sous-représentés à cause de la taille réduite des circonscriptions, car avec une taille moyenne de quatre députés, un candidat aurait besoin d’environ 20% du vote pour être élu. Bien sûr, la part du vote du Parti vert pourrait augmenter dans un mode de scrutin VUT qui éliminerait le besoin de voter stratégiquement, mais notre modèle n’a pas tenu compte de cette éventualité.

Toujours est-il que le VUT rendrait difficile l’élection de députés verts dans les plus petites circonscriptions et là où le soutien pour ce parti est de moins de 10%. Il y a par contre des stratégies qui permettraient aux petits partis de faire plus facilement une percée dans quelques circonscriptions à VUT, par exemple en ne présentant qu’un candidat étoile pour éviter l’élimination précoce et en misant sur les seconds choix des électeurs.

Des distorsions de ce genre s’appliqueraient aussi aux plus grands partis qui obtiennent un faible support dans certaines parties du Canada, particulièrement dans les régions rurales où le nombre de sièges par district serait réduit. Si le Parti vert fait plus que les autres les frais de la proportionnalité imparfaite du VUT dans notre simulation, les plus grands partis risqueraient aussi de ne pas obtenir de sièges dans certaines des plus petites circonscriptions.

Ceci étant dit, il existe quelques améliorations relativement simples qui pourraient être apportées au VUT, tel que l’ajout d’un petit nombre de sièges compensatoires évoqué ci-dessous, qui permettrait aux partisans des plus petits partis de combiner leurs voix à l’échelon de régions plus grandes pour élire un député de leur choix et arriver à un résultat plus proportionnel. Cette option de conception mérite d’être considérée comme façon d’améliorer l’équité du modèle VUT pour tous les électeurs dans toutes les régions du pays.

L’intérêt du VUT comme option de réforme électorale pour le Canada

Comme système proportionnel, le VUT offre tous les avantages de la représentation proportionnelle présentés dans la partie principale de cette soumission. Nous ne répéterons pas ces avantages ici. Cependant, le VUT pourrait présenter un intérêt particulier pour les membres du comité pour des raisons spécifiques à ce modèle. Nous évoquons l’intérêt du modèle ici pour chacun des cinq principes faisant partie du mandat du comité ERRE.

Les cinq principe ERRE et le VUT

Efficacité et légitimité

Comme nous l’avons vu, et malgré quelques faiblesses, le VUT conduit à faire compter les votes de façon hautement efficace, atteignant un niveau d’efficacité dépassant 90% même avec des circonscriptions relativement petites. Il offre aussi aux électeurs plus de choix que virtuellement n’importe quel autre système, entre autres, la possibilité

  • d’ordonner ses choix;
  • de voter pour des candidats plutôt que pour des listes de parti;
  • de voter pour des candidats de différents partis.

Le VUT traite les candidats indépendants sur le même pied d’égalité que les candidats affiliés à un parti.

Alors que la proportionnalité soit habituellement exprimée en termes de la part des sièges obtenus par chaque parti en comparaison à sa part des voix, l’orientation centrée sur le candidat du VUT nous permet d’exprimer la proportionnalité en terme du nombre d’électeurs ayant élu un candidat spécifique de leur choix. Comme chaque candidat serait élu avec plus ou moins le même niveau de soutien électoral, on peut considérer que le VUT maximise la légitimité de chaque candidat élu.

Participation

La participation serait vraisemblablement élevée avec le VUT grâce à l’abondance de choix qu’il donne aux électeurs.

Comme nous l’avons vu, le VUT sert aussi à éliminer les forteresses régionales détenues par un seul parti dans le système majoritaire uninominal à un tour. Cet effet est visible même dans des circonscriptions relativement petites.

Accessibilité et inclusion

Le VUT est relativement facile à comprendre puisque ce n’est pas un système mixte. Tous les députés sont élus de la même manière, en utilisant des bulletins de vote préférentiels.

Intégrité

Le Canada a une longue histoire réussie d’utilisation du VUT, et aucune inquiétude majeure n’a jamais fait surface à propos du décompte manuel (il est vrai que certaines variantes des règles de décompte impliquent plus de manipulations des bulletins que d’autres, ce qui peut conduire à un délai plus long avant que les résultats finaux de l’élection ne puissent être annoncés).

Même lorsque les règles de décompte sont plus raffinées ou compliquées, il est habituellement possible d’identifier les gagnants probables avec une certitude élevée grâce aux tours de décompte ayant lieu la soirée même des élections, et de connaître ainsi le résultat global de l’élection. La détermination finale d’un petit pourcentage de sièges se ferait normalement après la soirée des élections, lorsque tous les transferts de bulletins d’un candidat à l’autre auraient été effectués et qu’on aurait tenu compte de tous les votes envoyés par la poste.

S’il est important de connaître les résultats finaux de l’élection plus tôt, il est possible d’utiliser un système de lecture optique des bulletins (tel qu’utilisé dans les élections municipales à Vancouver). Ceci laisse une trace écrite à des fins de vérification et les bulletins peuvent être comptés manuellement en parallèle pour le premier tour de décompte dans un temps comparable à celui qui est nécessaire pour le décompte des bulletins dans notre mode de scrutin actuel. Les bulletins à lecture optique pourraient être comptés plus ou moins instantanément et les résultats finaux annoncés rapidement. Le détail des bulletins pourrait être publié pour que les observateurs indépendants vérifient les résultats du programme de décompte.

Représentation locale

Dans un mode de scrutin VUT, la représentation locale se fait dans le cadre de circonscriptions plurinominales. Même si cette formule n’apparaît pas aussi « locale » que celle des circonscriptions uninominales, les électeurs auraient en fait plus de choix que jamais s’ils ont besoin de consulter un député et ils pourraient préférer s’adresser à un député pour qui ils ont effectivement voté. Le ratio des députés et des électeurs resterait le même.

En termes d’imputabilité, les députés se feraient la compétition pour améliorer leurs chances de réélection. En effet, ils pourraient même être en compétition avec des candidats de leur propre parti. Les députés sont donc complètement imputables aux électeurs dans ce système.

Certes, cela pourrait représenter un défi que d’avoir à gérer des circonscriptions agrandies afin de les rendre plurinominales, particulièrement dans les régions rurales où les distances géographiques sont déjà une préoccupation. C’est la raison principale pourquoi la taille des circonscriptions définies par le nombre de députés serait plus petite dans les régions rurales, la limite inférieure étant de deux députés. On pourrait même entrevoir un certain nombre de circonscriptions uninominales.

Il ne faudrait cependant pas exagérer la difficulté à relever un tel défi. Par exemple, chaque parti majeur est responsable de présenter autant de candidats qu’il y a de sièges dans chaque circonscription. Ceci permettrait à ces candidats de concentrer leur campagne dans des parties différentes de la circonscription plurinominale. De plus, lorsque plusieurs députés desservent la même circonscription, ils pourraient se diviser les tâches géographiquement d’une manière raisonnable.

Considérations pratiques

L’utilisation du VUT en 2019 pourrait considérablement réduire les coûts de reconfiguration des circonscriptions comparée à d’autres options, puisque des circonscriptions plurinominales pourraient souvent être créées en regroupant des circonscriptions existantes, comme il est proposé dans les exemples ci-dessus.

Le VUT comparé à d’autres modèles de représentation proportionnelle utilisant de petites régions plurinominales

Le VUT n’est pas la seule manière de mener des élections plurinominales dans de petites régions. D’autres options sont la proportionnelle de listes (avec des listes fermées, flexibles ou ouvertes) et la proposition P3 de Stéphane Dion. Ces options présentent tous les avantages de la représentation proportionnelle mais n’offrent pas aux électeurs le même degré de choix que le VUT.

La représentation proportionnelle de listes fermées n’est pas nécessairement « antidémocratique » parce que les nominations peuvent être faites démocratiquement et il y a des avantages aux listes fermées. Ces listes permettent aux partis d’équilibrer la représentation proposée, en termes de genre et d’autres dimensions de la diversité. Cependant, elles ne permettent pas aux électeurs de choisir parmi les candidats d’un parti. Les listes flexibles ou ouvertes vont plus loin, en permettant aux électeurs de voter directement pour des candidats individuels.

Les systèmes proportionnels avec listes de parti donnent un vote à chaque électeur, sans recours à un bulletin préférentiel. Ceci pourrait être un désavantage pour les candidats qui sont aimés d’une bonne part de la population mais qui ne seraient pas le premier choix de la plupart des partisans de ce parti. Il pourrait arriver que la plupart des gens votent pour un candidat étoile; dans un tel cas, leur vote compterait quand même pour le parti, mais n’aurait pas d’impact pour le choix des candidats autres que le candidat étoile.

Les petits partis pourraient aussi être désavantagés par les systèmes avec listes dans les petites régions, car ils ne sont pas en mesure de profiter des seconds choix grâce au vote préférentiel.

Certains ont exprimé des inquiétudes sur la façon dont la représentation proportionnelle à liste ouverte pourrait affecter l’unité d’un parti puisque les candidats d’un même parti se retrouveraient à se faire compétition. Le VUT aide à régler ce problème parce que les candidats d’un même parti demandent habituellement aux électeurs de choisir leurs collègues du même parti dans leurs choix suivants. Cette stratégie maximise le nombre de sièges que le parti peut gagner dans chaque circonscription. Avec le VUT, les candidats tenteront d’obtenir la préférence au second choix, y compris le second choix des électeurs qui préfèrent leur parti mais qui pourraient choisir un autre candidat en premier. Ceci encourage la coopération et le soutien mutuel des candidats d’un même parti pendant la campagne électorale.

La proposition de Stéphane Dion, le système P3, demande l’utilisation d’un bulletin préférentiel précisément pour cette raison. Comme l’explique Dion (p. 12) :

… les candidats d’un même parti seront en compétition pour l’obtention des sièges. Cela peut nuire à la cohésion de nos partis. Mais il faut bien voir que ces rivaux d’un nouveau genre devront en même temps faire équipe, car ils devront afficher la cohésion sans laquelle leur parti pourra difficilement rallier le nombre de voix nécessaires à l’obtention de sièges. Ce seront les partis qui sauront le mieux marier la cohésion et l’émulation interne qui auront le plus de chances de l’emporter, pour le grand bénéfice des Canadiens.

Le P3 opère en deux étapes. La première étape fait appel aux préférences des électeurs pour les différents partis afin de déterminer l’attribution des sièges à chaque parti. Si le parti de choix d’un électeur est éliminé à cette étape, on fera compter son second choix. La deuxième étape fait appel aux préférences des électeurs entre les candidats d’un parti pour voir lesquels seront élus. La différence entre le P3 et le VUT est que les électeurs ne peuvent pas voter pour les candidats de partis autres que leur parti de premier choix. Les électeurs qui ont choisi un parti qui a été éliminé n’ont pas de voix dans le choix d’un candidat. Le système proposé par Dion ne permet pas non plus aux votes excédentaires d’être redistribués.

Le système de Dion est proportionnel, préférentiel et personnalisé, d’où le nom P3. Ce mode de scrutin mérite notre considération. Cependant, il est plus centré sur le parti que le VUT. Il ne permet pas aux préférences d’être exprimées pour un candidat indépendamment du parti, ne permet pas aux votes excédentaires d’être redistribués, et ne permet pas aux indépendants de faire la compétition aux candidats des partis sur le même pied d’égalité.

Le VUT+

Bien sûr, n’importe quel système choisi pour élire des candidats dans des petites circonscriptions plurinominales rend difficile l’élection d’un candidat du troisième ou quatrième parti le plus populaire. Cela est vrai pour la représentation proportionnelle de liste, pour le P3 ou pour le VUT avec des régions de taille comparable. La petite taille de certaines circonscriptions plurinominales limite le niveau de proportionnalité qui peut être atteint. Les chances de remporter un siège seraient ainsi réduites pour les petits partis tels que le Parti vert, et à l’occasion pour tout autre parti dans les régions rurales où les circonscriptions seront normalement plus petites en termes du nombre de sièges représentés.

En principe, il est possible d’augmenter la taille des circonscriptions plurinominales à 10-15 sièges pour permettre aux partisans des plus petits partis d’élire un candidat, mais ce n’est pas une option réaliste en dehors des plus grandes villes canadiennes, et cela compliquerait le vote pour les électeurs, qui auraient à choisir parmi une liste très longue de candidats. Une autre option serait d’envisager un système hybride faisant appel aux principes du modèle proportionnel rural-urbain présenté à l’appendice 12.

Utilisé en tant qu’extension du VUT, la proportionnelle rurale-urbaine maintiendrait le VUT dans les circonscriptions plurinominales mais y ajouterait un certain nombre de sièges compensatoires sur une base régionale, comme on fait avec la proportionnelle mixte. Nous appelons ce modèle VUT+. Puisque le VUT est déjà en mesure de livrer des résultats très proportionnels dans la plupart des cas, on aurait besoin seulement d’un petit nombre de sièges compensatoires pour rehausser le niveau de proportionnalité.

Au Canada, la formule compensatoire pourrait être appliquée sur une base régionale avec un ratio moyen de deux sièges compensatoires pour chaque tranche de 13 sièges VUT réguliers (ou un siège compensatoire pour chaque tranche de six sièges VUT réguliers dans les plus petites régions). La taille réelle des régions compensatoires pourrait varier en fonction des réalités géographiques. Sur l’île de Vancouver, il serait logique d’avoir une région compensatoire de sept sièges (6+1). Dans la plupart des autres régions, on pourrait envisager des régions de 15 sièges (13+2), en incluant des circonscriptions plurinominales de différentes tailles, des circonscriptions uninominales au besoin et deux sièges compensatoires, pour un total de 15.

La simulation dont nous avons étalé les résultats dans le tableau ci-dessus suggère que si nous avions utilisé le VUT+ à la dernière élection, les différents partis auraient obtenu une part des sièges à peu près égale à leur part des votes. En comparaison au VUT régulier, les libéraux auraient 1% moins de sièges et le Parti vert aurait récolté 2% des sièges au lieu de 0,6% (huit sièges au lieu de deux). Globalement, les résultats auraient mieux reflété les résultats du suffrage. Notez que ces chiffres sous-estiment l’amélioration obtenue grâce à cette innovation, puisque la plupart des avantages prendraient la forme d’une proportionnalité améliorée au niveau régional.

Le VUT+ est assez flexible pour accommoder un certain nombre de circonscriptions uninominales dans les régions particulièrement éloignées comme les régions nordiques des provinces de l’ouest, de l’Ontario et du Québec ou le Labrador. Ces circonscriptions uninominales seraient incluses dans des régions compensatoires comprenant quelques circonscriptions plurinominales. Les votes qui auraient pu être insuffisants pour élire un candidat au niveau de la circonscription pourraient servir à élire un candidat compensatoire au niveau régional en utilisant le même principe de proportionnalité que la proportionnelle mixte.

Le VUT+ pourrait être conçu pour fonctionner sans changer le nombre total de députés que nous avons présentement, dans quel cas, il faudrait opérer une redistribution des circonscriptions pour faire de la place aux sièges compensatoires. Une autre option serait de conserver les limites actuelles des circonscriptions et d’y ajouter quelques sièges. Nous estimons que 50 nouveaux sièges suffiraient aux fins souhaitées.

Conclusion

En conclusion, nous sommes d’avis que le VUT offre un attrait considérable comme option de représentation proportionnelle au Canada. S’il est vrai que le VUT n’a pas reçu la même attention que la proportionnelle mixte ces dernières années, l’expérience acquise à date par le Canada et d’autres démocraties inspirées du modèle de Westminster montre la faisabilité technique et l’accessibilité du mode de scrutin VUT pour les électeurs. Il est opportun de noter qu’il y a eu deux référendums en Irlande demandant si on devait ou non garder le VUT, et le camp du « oui » a gagné aux deux occasions.

Représentation équitable au Canada suggère que le VUT soit sérieusement considéré comme option viable par le Comité sur la réforme électorale, soit comme système à part entière, ou en employant la formule VUT+ et en utilisant de petites circonscriptions VUT auxquelles on ajouterait un certain nombre de sièges compensatoires dans le style de la représentation proportionnelle mixte, tel que discuté dans l’annexe 12.

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